Des empreintes dans la neige [PV Warui]

Une petite fille errait au pays des Farïd. Affamée et frigorifiée, elle avait attendu que la tempête cesse pour continuer sa route. Elle ne savait où elle allait mais elle espérait tomber sur quelqu'un de bon. Depuis sa rencontre avec des Drows, elle se montrait plus méfiante. Mais pas craintive. Ça, c'était un trait de caractère qui n'avait jamais existé chez elle.

Devant elle s'étendaient des plaines blanches à perte de vue mais elle ne perdait pas espoir. Elle allait rencontrer un village ou une petite chaumière, elle le savait. Selon, Ennedor, le vieil homme qui avait pris soin d'elle, elle était en Syab. Elle avait toujours rêvé de quitter Hyii pour explorer des terres comme celles-ci. Syab... la terre des Farïd, des renards guerriers et féroces. Elle avait hâte de découvrir leur architecture et de monter dans leurs bateaux !

Bien qu'elle soit perdue, la petite fille n'était guère malheureuse. Chez elle, il n'y avait pas de neige et là, elle en voyait à foison. Ses pieds disparaissaient dans la poudreuse et elle craignait à chaque pas de tomber dans un trou. Elle savait que c'était stupide mais comme elle s'ennuyait, elle s'imaginait toutes sortes de scénarios idiots. Bientôt, ses pas rencontrèrent de petites empreintes. La fillette se pencha sur elles pour les étudier. Elle en avait déjà vu de pareilles dans un de ses livres. À leur forme, elle en déduisit qu'il s'agissait d'empreintes d'un petit dragon, d'un bébé même. La gamine s'écarta pour ne pas les piétiner et continua sa route, les yeux rivés sur elles. La créature avait l'air d'aimer la neige, elle avait sautillé partout. La fillette ne réalisa pas qu'elle formait des cercles, trop absorbée par son imagination. Ce petit dragon était-il perdu, lui aussi ? Qui sait, ils pourraient être amis, tous les deux !

Les empreintes cessèrent de tourner en rond et formèrent un long chemin en zigzag. La petite fille courut en pensant croiser le dragon au bout de la route. Mais elle tomba la tête la première dans la neige, sur les belles petites traces. La fillette se redressa, passa ses mains dans ses cheveux dorés pour enlever les flocons. Elle continua de marcher et aperçut des empreintes plus grosses. Il ne s'agissait pas d'un dragon, cette fois-ci, mais d'une créature anthropomorphique. Ses pattes s'étaient enfoncées dans la neige, aux côtés de la petite créature. Bientôt, Siiko rencontra la propriétaire de ces empreintes.

Le grand air, disait Surric. Il n'y avait rien de mieux pour se changer les idées et se vider l'esprit. Bien qu'elle devait un jour s'asseoir sur le thrône du Jarl de Woktal, Warui redoutait chaque réunion avec les chefs de famille, même s'il s'agissait de son propre clan. Comment sa mère faisait pour que le respect règne et que le calme reste, elle l'ignorait. Elleira avait cette présence innée. Après un repas avec les chefs, la jeune Faryd s'était éclipsée sous le regard de ses parents. Elle était passée par les étables pour rendre visite à la belle Freya et ramasser sa boule de poil. Surric arriva peu après elle et lui dit qu'elle pouvait emmener la femelle avec elle. Warui sauta au cou de son père, monta sur la vouivre, son propre dragonnet bien installé contre son ventre, et dirigea Freya vers l'extérieur et la forêt. Elle laissa sa monture les guider vers les bois. Elle avait besoin d'air. Courir dans la neige, agiter son épée, maîtriser ses mouvements et surtout... apprendre à Loke, qui venait encore d'aller de son côté, de ne pas fourrer son nez partout et de l'écouter!

Il avait à peine un an, il était encore minuscule comparé aux petits de Freya qui avaient son âge. Pas étonnant que ses parents l'aient délaissé si il avait mis tant de temps à éclore. Le jeune vouivre débordait d'énergie pourtant. Il courait partout, tournait en rond, en zigzag. Il écoutait plus qu'il y avait quelques mois. L'importance des mots de Warui devenait un concept essentiel dans son esprit. La jeune Faryd le surveillait pendant qu'elle révisait les mouvements que sa mère lui avait appris. Il était encore trop jeune pour apprendre à se battre à ses côtés, encore trop immature sans doute. Surric lui avait dit qu'il entraînait ses vouivres au combat dès l'âge de deux ans, lorsqu'ils commençaient à être plus calmes et pouvaient dépenser leur énergie de façon plus efficace. Pour le moment, Loke devait jouer sans souci, il répétait malgré les regards découragés d'Elleira qui se disait chanceuse qu'Odin soit déjà adulte. Après un moment, Warui rejoint son vouivre, Freya qui les regardait couchée sur une souche en prenant un bain de soleil hivernal. L'albino répétait les commandes de base à son dragon qui s'y prenait de façon un peu maladroite.

Elle s'apprêtait à jouer au chat et à la souris avec lui quand une silhouette se pointa à côté d'eux, de par derrière un arbre. Une inconnue tomba dans la neige, en face de Warui qui reconnu une humaine pour en avoir vu quelques-uns faire du commerce à Alserd. Elle recula d'un pas ou deux, hébétée. Loke couina de surprise, ses ailes étalées pour se faire paraître plus gros. Freya leva la tête avec un grognement sans bouger de sa souche. Warui examina l'humaine en face d'elle et une pensée lui traversa l'esprit:

- Heu... t'as pas froid?

Contrairement à Siiko, Warui portait ses fourrures et bien qu'elle avait les pieds nus, elle n'avait aucunement froid. Loke se colla contre ses jambes, les ailes encore dressées, regardant la fillette avec curiosité.

Siiko regarda la Faryd en partant des pieds. En effet, c'était bien ces pattes qui avaient semé ces empreintes. L'inconnue était si blanche qu'elle pouvait se confondre avec la neige, si elle ne portait pas ces vêtements de cuir et de fourrure. Une longue tresse descendait sur son épaule et une frange cachait son œil droit. Les yeux rouges de la Faryd fixaient Siiko avec surprise. Une réaction très prévisible pour une créature qui devait voir peu, voire pas du tout, d'humains sur ses terres. À ses côtés, un petit dragon à fourrure exprimait le même étonnement. Ce petit dragon qui avait parsemé la neige d'empreintes ! Un autre, beaucoup plus gros, se tenait sur une souche. Siiko s'exclama de joie :

- Oh ! Ils sont à toi ? Ils sont absolument magnifiques ! J'ai toujours rêvé de rencontrer des vouivres des neiges !

Ayant lu de nombreux livres au sujet des dragons, Siiko était capable de reconnaître la race dès qu'elle en voyait un. Sans attendre l'accord de la propriétaire, la fillette tendit des doigts gelés pour caresser le dragon. Oui, elle avait froid. Elle n'avait sur elle qu'une robe et qu'un manteau d'adulte que lui avait donné Ennedor. Des vêtements qui n'étaient même pas adaptés pour un hiver dans des contrées tempérées. Sa course dans la neige l'avait un peu réchauffée mais ses muscles d'enfant ne pouvait rien contre le froid de Syab. De plus, elle était fatiguée et affamée. La Faryd aurait peut-être la gentillesse de l'héberger une nuit. D'ailleurs, Siiko ne se souciait pas de la nature de l'inconnue. Enfin, comme d'habitude.

Warui avait appris le partage dès sa plus tendre enfance. Ainsi que de garder une façade devant les étrangers. Cependant faisait un geste que Warui ne tolérait aucunement: aller toucher son dragon sans consentement. Bien que Loke soit plus sociable qu'elle, il restait un bébé et elle restait sa mère. Le bébé vouivre recula dans la neige en tentant de se faire gros et feula en direction de Siiko, Warui leva Ragnarök et la posa devant Loke avec vigueur pour barrer le chemin, ses yeux rouges fixant la nouvelle venue. Toute surprise était partie de son visage. On pouvait maintenant y voir irritation.

- Loke est à moi, répondit-elle en pointant celui-ci. Freya est à mon père, ajouta-t-elle en levant la main vers la dragonne.

Cela devrait faire comprendre à Siiko que son geste était innapproprié. Warui n'avait aucune intention de la blesser, et si tout était ce qu'il paraissait, l'humaine était frigorifiée malgré sa bonne humeur. La Faryd se demandait si la ramener à la maison était une bonne idée. Peut-être pour quelques jours. Sa mère saurait mieux détecter si Siiko constituait un danger.

Siiko recula et tomba sur les fesses quand le petit dragon se mit à feuler. Sa maîtresse, qui n'avait pas du tout apprécié son geste, dégaina une énorme épée qu'elle planta devant la vouivre. Son regard de sang était aussi tranchant que la lame. La Faryd lui fit sèchement savoir les noms des deux dragons et surtout, leurs propriétaires. Le cœur de Siiko s'emballa sous la frayeur mais son visage ne laissa paraître aucune crainte. Les sourcils froncés, elle se leva brusquement et grommela :

- Je n'avais pas l'intention de te le voler ! Je voulais juste lui dire bonjour ! C'est la première fois que je vois un dragon.

Ce qui était un mensonge. Le premier dragon qu'elle avait rencontré, c'était ce monstre qui avait attaqué le bateau des esclavagistes. Et lui devait sa liberté.

- Tu es une apprentie Dragonnière ! remarqua-t-elle, les yeux brillants d'admiration, quelle chance ! J'ai toujours rêvé de monter sur le dos d'un dragon !

S'il y avait une chose qu'elle connaissait de Syab, c'étaient les Dragonniers et leurs montures. Siiko se remémora les images d'un livre où des Farïd se tenaient fièrement aux côtés de leurs dragons ou chevauchaient leurs fidèles compagnons pour défendre leurs provinces. La fillette étudia l'inconnue. Si son père était un Dragonnier, il était sans doute noble.

- Avant de s'approcher d'un étranger, les présentations sont de mise, rétorqua Warui. Rien ne dit que je ne te veux aucun mal, je pourrais donner l'ordre à Freya de te sauter dessus.

Néanmoins, le regard de Warui s'adoucit.

- On ne sait jamais, on n'est jamais trop sur nos gardes, surtout dans la nature.

Elle savait qu'ils étaient sur le territoire d'Odin. Le dragon n'aurait pas hésité à attaquer Siiko, celle-ci avait de la chance d'être tombée sur Warui à la place. La Faryd rangea son épée derrière son dos, l'attachant à la bandolière qui était dotée d'un aimant suffisament puissant pour supporter le poids de l'arme (Qui était très légère en rétrospective).

Loki continuait de feuler, plus faiblement, voyant que sa mère n'était plus sur la défensive. Elle lui fit signe de la tête que Siiko leur était inoffensive. Le dragonnet rabaissa ses ailes en cape plumée sur son dos, ses mains sur les épaules, et s'approcha de la gamine à petit pas. Il lui tourna autour et après avoir fini de la renifler, agita la queue et couina pour l'inviter à jouer. De son côté, Freya se recoucha en soupirant.

Warui baissa les oreilles et rougit sous sa fourrure blanche à la question de la fillette.

- Eh bien... on... peut dire ça..

Elle toussota un peu.

- C'est arrivé par hasard quand il a décidé d'éclore dans mes bras, dit-elle en pointant vers Loke, sous-entendant donc qu'elle avait été la première créature qu'il avait vu en naissant.

De plus, Warui avait l'air d'une noble. Ses vêtements étaient propres, bien taillés, les matériaux étaient d'excellente qualité, les quelques couleurs étaient vives et la broche qui tenait sa cape en place était ornée des armoiries des Sytha, un renard blanc aux ailes de dragons des neiges.

- Oui, c'est vrai, acquiesça Siiko, sombrement.

Malgré sa rencontre avec les Drows, elle n'avait toujours pas retenu cette leçon. Néanmoins, la Faryd montra un visage plus sympathique et rangea son épée. Ayant compris l'avertissement, Siiko observa Loke, amusée. Le dragon oublia la mésaventure et s'agita devant la fillette qui tendit une main en attendant qu'il vienne s'y frotter.

La remarque alla droit au cœur de la Faryd. Sa réaction rassura Siiko qui pensait être tombée sur une guerrière froide. Elle lui raconta comment elle avait eu Loke et la fillette absorba chacun de ses mots.

- Et du coup, il t'a choisie comme maman ! Et vous êtes tous Dragonniers dans la famille ?

Le froid secoua Siiko qui s'emmitoufla dans son manteau. Ses orteils semblaient se pétrifier et ses doigts rougis brûlaient sous le vent. Malgré tout, elle gardait le sourire.

- Comment tu t'appelles ? Moi, c'est Siiko !

Voyant la main de Siiko se tendre, Loke ne se fit pas prier et alla se frotter contre la paume avec joie, ronronnant presque. À la question de la fillette, Warui repensa à ses parents et leurs familles respectives. Oui. Il y avait plein de dragonniers dans sa famille. Beaucoup même. Elle ne savait pas si il y en avait trop.

- C'est assez commun, avec la meute qui se promène près de chez nous.

Odin restait assez près si jamais Elleira avait besoin de lui. Un vent léger du nord commençait à se lever. Normalement Warui serait restée plus longtemps, elle l'appui de son père pour son escapade du jour, afin de retarder la leçon de magie mais... Siiko se transformait en glaçon.

- Il m'a choisie comme mère et je ne peux le laisser seul plus de cinq minutes sans qu'il foute le bordel, soupira-t-elle en s'approchant de l'enfant.

Warui enleva sa cape de fourrure et la posa sur les épaules de Siiko. Elle appela Freya qui les rejoignit et se coucha dans la neige à côté d'elles. Loke couina d'excitation, sa maîtresse le ramassa et le mit sur la base du cou de la dragonne. Elle tendit la main à Siiko pour l'aider à se lever, elle embarquerait sur Freya en dernier puisqu'elle savait chevaucher.

- Je me nomme Warui Sytha. Treizième du nom. Fille d'Elleira Sytha, Jarl de Wotkal.

On lui avait toujours dit de ne jamais donner son vrai nom, même si la personne en face semblait innofensive. Mentionner son tître et sa mère faisait partie de l'étiquette et bien qu'elle n'était pas friande des formalités, beaucoup retenaient leurs commentaires dès qu'elle mentionnait Elleira étant sa mère, si ils ne faisaient pas déjà le lien par son nom.

Siiko rit en sentant Loke se frotter contre sa main. Son pelage soyeux diffusa une faible chaleur dans ses doigts. Elle aurait aimé le combler de caresses mais ses mains refusaient de s'articuler. En mentionnant la meute, la Faryd fit rêver la fillette qui se voyait entourée d'une dizaine de petits dragons comme Loke.

- C'est toujours ça chez les bébés. Ils ne peuvent pas tenir en place !

Chez les enfants aussi d'ailleurs, peu importe la race. Mais ce n'était pas une réflexion que se faisait Siiko.

Sa main trembla de froid contre le pelage de Loke. La Faryd s'approcha de la fillette et la couvrit de sa cape. Siiko rabattit la fourrure sur ses joues, savourant sa douce chaleur. Ses frémissements se calmèrent peu à peu mais le froid persistait dans son corps. Siiko remercia la Faryd quand celle-ci l'aida à se lever. Freya s'approcha d'eux et elle poussa un hoquet d'admiration. Elle se sentait si petite à côté de cette fabuleuse créature !

La Faryd se présenta aussitôt la question posée. Warui Sytha, treizième du nom. Pendant une seconde, Siiko crut à une plaisanterie. Sytha était un nom qui avait traversé les continents. Même les petites filles élevées dans des temples isolés savait ce qu'il signifiait. Seuls les nobles Farïd portaient le nom de Sytha. De ce qu'avait retenu Siiko, ils étaient les plus proches du roi. Warui confirma son rang quand elle précisa que sa mère était jarl. Siiko le savait depuis le début : cette Faryd vivait dans la plus grande noblesse.

Warui aida Siiko à monter sur Freya. Elle installa l'enfant sur la selle et se plaça derrière elle, lui rappelant comment ses parents s'y prenaient quand ils l'emmenaient faire un tour avec eux il y a quelques années. Loki s'accrocha à la fourrure la dragonne avec ses six pattes, ailes comprises, quand Freya se leva avec ses passagers. Sikko tremblait encore de froid mais la cape la tiendrait au chaud pour le moment. Elle aurait besoin de se réchauffer les extrémités. Même les vouivres se repliaient en boule isolaient leur pattes du froid avec leur queue.

Freya commença a marcher puis à trotter, cherchant un endroit plus dégagé où elle pourrait prendre vol. Ils arrivèrent dans une petite clairière et au loin les montagnes près de la mer, les montagnes Alsac. Alserd se trouvait à leur gauche. L'endroit semblait idéal pour décoller.

- À la maison, Freya, lui demanda Warui.

La vouivre donna quelques puissants coups d'aile, recroquevilla ses pattes arrière et bondit pour se donner un élan et s'envoler. Loke couina d'excitation, adorant se retrouver dans le ciel. Les arbres rapetissaient, elles pouvaient voir le paysage sous leurs yeux et la mer au loin. Loke grouillait sur le cou de Freya. Warui ordonna à la dragonne de ralentir son vol. Le dragonnet croisa le regard de sa mère qui hocha de la tête et il sauta de son perchoir, étendit ses ailes et se mit à voltiger avec un peu de maladresse avec elles, roucoulant de bonheur.

- Dans cinq ans je pourrai enfin le chevaucher, dit doucement Warui. Entre-temps Freya fait tout le travail (L'intéressée émit un grognement qui ressemblait à un soupir ou un rire) car Odin est beaucoup trop fier pour laisser un autre que Mère monter sur son dos.

Devant elles, encore tout petit, Alserd se dressait contre la mer, quelques points flottants devant être les bateaux. Plus elles s'approchait et plus Warui redoutait la réaction de sa mère quand sa cadette lui emmènrait une humaine.

Warui aida Siiko à monter sur Freya. Une vive excitation la gagna et la fit trembler davantage. Elle allait chevaucher un dragon ! Elle avait tellement rêvé depuis des années ! Warui prit place derrière elle. Son contact réchauffa un peu Siiko qui avait plongé ses deux mains dans le pelage de Freya. Loke s'agrippa à ses poils. La fillette voulait l'imiter mais ses doigts se congelaient. Elle les porta à sa bouche et les ranima à l'aide de son souffle. Mais dès qu'elle les posa sur la dragonne, le froid revenait à la charge et Siiko abandonna toute tentative de se réchauffer.

Freya se leva et trotta jusqu'aux montagnes. Siiko s'accrocha du mieux qu'elle put sur son dos et regarda le paysage défiler, un sourire béat aux lèvres. La dragonne prit son envol. Ses puissantes ailes grondaient dans les oreilles de Siiko qui riait, mêlant sa joie à celle de Loke. Elle se pencha sur les côtés pour observer les sapins enneigés et les animaux courir au passage de la dragonne. Le vent lui mordait le cou et elle releva la cape de Warui jusqu'à ses joues. Siiko se blottit contre la dragonne pour ne pas geler. Loke sauta et vola maladroitement à leurs côtés. La fillette hocha la tête quand Warui confirma quand elle pourrait chevaucher sa vouivre. Oui, cinq ans, c'était bien ce qu'elle avait retenu. Siiko était impatiente de découvrir les autres dragons de la famille mais elle appréhendait aussi de se retrouver parmi les nobles. Les stéréotypes de personnes hautaines et méprisantes s'étaient imprimées dans son esprit. Même si l'ambiance était différente de Hyii, Siiko craignait que sa condition d'orpheline soit mal vue.

La dragonne arriva enfin à Alserd, grande cité qui bordait la mer. Et le vent hurlait à présent et glaçait le sang de la fillette qui tentait de se tenir chaud grâce à l'image d'un feu crépitant dans la cheminée. Les maisons étaient comme Siiko se l'imaginaient : des bâtiments de bois dont les toits touchaient presque le sol. Quelques sculptures de divinités ornaient les rues étroites mais suffisamment larges pour laisser passer les marchandises et les dragons.

Quand ils atterrirent, les badauds les plus proches tournèrent les yeux vers eux. Siiko se sentit nue devant leur regard curieux.

Freya atterrit près du manoir des Sytha. Devant les jeunes dames se dressait une construction massive de bois et de pierre. Un toit haut perché aux extrémités tombantes, une base rectangulaire. Des bannières affichant les armoiries du clan, les torches encore éteintes qui seraient allumées dès le soir tombé, les Faryds se promenant autour. Beaucoup de curieux les regardèrent, quelques-uns seulement s'arrêtèrent pour observer. Warui les ignora et conduit Siiko autour du bâtiment pour entrer par les étables.

La section était divisée par les enclos, chacun ayant un lit de paille, un bol d'eau et de nourriture. La plupart des enclos étaient vides, les quelques vouivres présents les regardaient passer avec curiosité. Freya retourna à sa place, une portée de dragonnets l'accueillant avec joie, sautillant et couinant pour de l'attention. Loke resta près de Warui, Freya lui donna un coup de langue et alla se coucher, ses bébés jouant avec sa queue et ses oreilles.

Les portes du manoir, celles reliant les étables à la maison, s'ouvrirent. Warui poussa doucement Siiko dans l'enclos de Freya. Les bébés s'excitèrent plus quand la fillette les rejoignit. Warui ferma la porte en tentant d'avoir l'air naturelle et se retourna pour se retrouver face à face avec Surric.

- C'est bizarre de te revoir aussi tôt, dit le Faryd blanc. J'ai dit à Niiz que la leçon pouvait attendre encore quelque heures, après le repas.
- C'était pour prendre l'air un peu, je me suis assez rafraîchie, répondit Warui.
- Oh, tu arrives à temps pour m'aider à nourrir les vouivres. Est-ce que Freya va bien? Les petits semblent bien trop excités.
- Oui! Oui! lui assura la jeune femme. Tout va bien! Tout va très bien!

Les oreilles de Surric se baissèrent. Warui comprît aussitôt qu'elle avait gaffé en ne pouvant garder son calme. Elle prit une bonne inspiration, la queue entre les jambes.

- En fait, j'ai croisé quelqu'un. Je pouvais pas la laisser seule dans la neige, avoua-t-elle.

Perplexe, Surric ouvrit la porte de l'enclos et ses yeux se posèrent sur Siiko. Voyant ses vêtements et la cape de sa fille sur le petite, tous les liens se firent dans sa tête.

- Oh... dit-il.

Warui emmena Siiko dans le premier bâtiment. À l'odeur bestiale qui s'en dégageait, il s'agissait des étables où se reposaient les dragons. Freya entra dans son enclos où ses bébés lui sautèrent dessus en couinant. Le cœur de la fillette s'emballa face à cette attaque attendrissante. Elle hésita à en toucher un mais Warui la poussa dans l'enclos. Non pas pour l'inviter à les caresser, mais pour la cacher d'une personne qui avait fait irruption dans les étables.

Les petits bondirent sur la gamine qui étouffa ses éclats de rire. Elle prêta une oreille à la conversation et comprit que l'arrivant n'était autre que le père de Warui. Il était étonné de voir sa fille rentrer si tôt. La suite était question de leçon de magie mais Siiko ne put en écouter davantage à cause des dragonnets qui l'avaient fait tomber dans la paille. Les bébés grimpèrent sur son dos, lui reniflèrent les cheveux et donnèrent des coups de langue. Siiko retint son rire avec peine, assaillie de chatouilles et de caresses. Elle se redressa malgré les petits qui s'accrochaient à ses épaules et en saisit un pour le gâter de tendresse. Jaloux et excités, les autres lui mordillèrent le bras pour réclamer leur tour. L'un d'eux, qui était resté sur ses épaules, monta sur sa tête.

La porte de l'enclos s'ouvrit. Siiko tourna la tête, en ignorant le dragon qui jouait avec ses cheveux, et se figea sous les yeux du Faryd. Grand et fier, son visage arborait des cicatrices. Il avait dû fréquenter de très près les vouivres les plus féroces. Surpris, il resta sans voix devant la fillette qui sourit bêtement et lâcha :

- Euh... bonjour ! Vous devez être le papa de Warui !

Les dragonnets le saluèrent. Celui sur la tête de Siiko continuait de mordre les cheveux. L'autre dans ses bras réclamait plus de caresses.

- Euh... Je vais vous expliquer !

Les bébés retournèrent auprès de leur mère et de Siiko.

- Oh... ces dragons ! Ils sont tellement jolis ! Freya est d'une grande beauté ! Vous avez de la chance d'être entourés de ces créatures !

Hébété, Surric ne répondit pas tout de suite aux salutations de l'enfant. Warui venait de le prévenir mais avait omis un détail: elle avait ramené une humaine. Plein de questions germèrent dans l'esprit du dragonnier mais se serait pour plus tard. De toute évidence, les dragonnets adoraient déjà Siiko et refusaient de la laisser tranquille. Le noble entra dans l'enclos, déposa la nourriture qui avait dans ses bras auprès de Freya et retira des cheveux de la fillette le bébé qui tenait à lui manger sa coiffure.

- Oui, je suis son père, elle est ma cadette et mon bijou, lui répondit-il.

Il carressa la tête d'un des dragonnets avec tendresse.

J'ai trouvé Freya dans les montagnes, blessée, je l'ai ramenée avec moi, soignée jusqu'à guérison de ses plaies et elle a décidé de rester. Je n'étais pas encore dragonnier mais Elleira m'a convaincu de tenter ma chance et depuis c'est moi qui supervise l'élevage. Crois-moi, ils sont jolis mais ils mangent des tonnes!

Il se leva et se tourna vers sa fille, avec un visage plus sérieux.

- Une magicienne qui demande refuge pour elle et son frère, ça passe, ma chérie, dit-il doucement à Warui. Cependant, une jeune humaine qui débarque ainsi chez nous, je crois que ta mère sera plus réticente.

Warui rentra sa tête dans ses épaules, Loke s'accrochait à son pantalon, se tenant sur ses pattes arrières, gémissant doucement pour avoir son attention. Niiz avait des épices et des biens avec elle en échange de l'asile que lui procurait Elleira.

- Je ne promets, trésor, ajouta Surric, mais je peux tenter d'attendrir ta mère et de la convaincre de la laisser ici jusqu'à ce qu'on trouve ce qu'on peut faire ou...

Il regarda Siiko en terminant sa phrase:

- ...Ce qu'elle veut faire.

Le silence régna pour un instant, entrecoupés par les cris des dragonnets. Warui brisa le silence:

- Mais avant d'aller voir Maman, il faut être hospitaliers! Les Sytha ont une réputation à maintenir.

Elle eut un grand sourire sur le visage et prit la main de Siiko.

- On se lave, on mange et on se repose. On verra ma mère demain. Pour le moment, tu es notre invitée!

Loke agita la queue en voyant la bonne humeur de la Faryd blanche. Il y a avait une nouvelle amie sous le toit! Surric leur fit signe qu'elles pouvaient y aller et Warui emmena l'humaine avec elle jusqu'aux bains réchauffés par magie Elle alla chercher de nouveaux vêtements plus appropriés pour la température pendant que Siiko pouvait se laver et relaxer. Loke ne se fit pas prier et sauta dans l'eau pour jouer.

Le père entra dans l'enclos et déposa de la nourriture. Les bébés oublièrent toute présence d'êtres vivants et s'acharnèrent sur la viande. Le dragonnet qui était dans les bras de Siiko alla aussitôt rejoindre les autres. Le Faryd retira celui qui s'amusait avec ses cheveux et confirma ses liens familiaux avec Warui. De ce qu'il en disait, cette dernière devait être la fille préférée de son père.

Siiko se détendit un peu face à la réaction du Faryd. Elle s'attendait à une explosion de colère mais il lui raconta comment il avait trouvé Freya et comment il était devenu éleveur de dragons. La fillette émit un petit rire à la dernière remarque.

- Les bébés mangent six fois par jour, d'après les livres !

Mais le père se tourna vers sa fille et lui exposa ses craintes. Siiko s'en doutait. Sa présence allait causer problèmes, surtout si elle était humaine. Quand le Faryd posa ses yeux sur elle, elle s'exclama en agitant les mains, déroutée :

- Oh non ! Je n'ai pas l'intention de vivre chez vous !

Alors qu'un silence régnait, Warui le brisa et détendit l'atmosphère avec un grand sourire. Elle attrapa la main de Siiko et l'entraîna dans son domaine. Le verbe "manger" s'était imprimé dans son esprit. Oh oui, elle avait vraiment besoin de nourriture ! Sur le bateau des esclavagistes, elle n'avait eu que du pain dur comme de la pierre et de l'eau croupie. Elle ne refuserait pas de manger, peu importe le plat ! Mais avant le repas, elle devait être propre. D'ordinaire, la fillette fuyait les bains mais elle accepta avec grand plaisir.

La chaleur de la salle des bains détendit ses muscles et décongela ses extrémités. Warui quitta la pièce, laissant Siiko et Loke qui plongea dans l'eau. La gamine n'attendit pas la Faryd. Elle se déshabilla et trempa un orteil. Après avoir passé des jours dehors, elle avait l'impression d'entrer dans une casserole bouillante. Le dragon s'agitait dans l'eau et lui envoyait des gouttelettes à la figure. La fillette rit et plongea sans réfléchir. Elle prit sa revanche sur Loke en lui jetant de l'eau.

Warui regrettait un peu que Siiko ne veuille pas rester. En dehors de son grand frère, les autres de son âge se comportaient déjà en adulte et étant des nobles étaient un peu hautains, même envers elle pour sa pauvre maîtrise de la magie. Asger lui tombait sur les nerfs de temps en temps lui aussi. Elle ne pouvait forcer la petite à rester avec eux, mais elle pourrait profiter du temps qu'elle serait ici. Niiz pouvait être à cheval quand ça lui tentait. L'albino adorait Shelumiel mais il pouvait être lourd après de longues périodes. Warui prit son temps pour amener de nouveaux vêtements, ramassant de nouveaux morceaux pour elle-même.

Une fois revenue au bain, elle vit Siiko et Loke s'éclabousser entre eux. Un vague de liquide lui atterrit dessus. Loke plongea dans l'eau et en ressortit avec un gémissement plaintif, demandant à sa mère de le rejoindre. Warui soupira avec un sourire, se déshabilla pour ensuite plonger dans le bain. Loke alla se percher sur sa tête pendant qu'elle prenait les savons et en tendit un à Siiko.

- Une préférence pour le repas? On a du mouton, du boeuf, des légumes, des baies, du pain.

Elles allaient probablement manger avec ses parents. Si ils étaient en tête-à-tête ils n'auraient pas à endurer les autres nobles et leur jacasseries. Elle s'approcha de Siiko et commença à lui frotter le dos. Loke paressait sur sa tête en poussant des soupirs de bonheur.

Loke s'interrompit et poussa des cris en direction de sa maîtresse qui était revenue avec des habits. Warui les rejoignit après les avoir déposés et passa un savon à Siiko. La fillette se lava le visage et sentit la Farïd lui frotter le dos.

- Pourquoi pas du mouton ? Et un peu de légumes !

Siiko se lava les cheveux qui avaient perdu de sa brillance au cours de ces jours de détention. Leur couleur ne devait pas surprendre les Faryd qui possédaient une grande variété de teintes dans leur pelage. De même pour ses yeux violets. Les prêtresses lui avaient expliqué que son ascendance draconique l'avait voulu. Un peu déçue, Siiko aurait aimé être née avec des ailes et une queue de dragon pour pouvoir quitter le temple à tir d'ailes. Quelques enfants de Hyii possédaient ces atouts et la fillette ne pouvait que les envier. Mais peut-être que dans une situation comme celle-ci, il était préférable de ne pas ressembler à un dragon.

- Est-ce que ta maman aime les humains ? demanda-t-elle alors qu'elle s'occupait du dos de Warui.

La question trottait dans sa tête depuis les étables. Elle espérait tomber sur une Farïd aussi sympathique que sa nouvelle amie.

- Il y a d'autres gens dans cette maison ?

Sa curiosité avait refait surface, maintenant qu'elle était en sécurité.

- Je ferai la demande aux chefs de préparer les moutons!

Après avoir fini le dos de Siiko, Warui se retourna et se laissa pomponner un peu. Elle avait défait sa tresse et gardait ses cheveux sur sa poitrine , les brossant. Elle prit Loke et commença à brosser sa fourrure. Il était sur le point de s'endormir de confort pendant qu'elle nettoyait son visage. Leur fourrure était maintenant d'un blanc immaculé, ils en brillaient presque.

- Ma mère... dit Warui pensive.

Comment bien la décrire aux yeux d'une étrangère? La Faryd prit son temps pour rassembler ses pensées.

- Ma mère est une personne ouverte d'esprit. Elle a un côté plus traditionnel que mon père, surtout envers les coutumes et les étrangers. Parce que peu de visiteurs viennent si loin dans le Nord, on a plus l'habitude de d'autres Faryds. Ma mère... est fière. Elle a participé à de nombreux conflits, elle a pris la relève de ma grand-mère quand celle-ci est morte suite à un assassinat. Elle a remis le clan sur ses pieds, s'est retrouvée en forêt, blessée, et a mériter le respect d'Odin quand elle a réussi à dominer en corps à corps...

La jeune femme respectait beaucoup sa mère et son ton le démontrait. Il y avait cette chaleur de parler d'un être aimé, cette fierté de la connaître, mais il y avait aussi cette crainte de ne pas être à la hauteur d'une telle légende, de lui faillir.

- Elle y va au cas par cas. On verra une fois là.

Elle alla ramasser une serviette pour éponger l'eau de sa fourrure.

- Le manoir est plein de gens, la plupart sont à leur travail, dans d'autres villages, en ville. La maison sera plus active ce soir, une fois le repas fini, assura Warui en tendant une serviette à Siiko.

Dès qu'elles furent sèches et habillées, elle la conduisit à la salle à manger. Des voix provenaient de la pièce, une féminine et une masculine. Ses parents. Son père avait un calme mais sa mère semblait un peu plus agitée. Loke couina faiblement, partageant l'incertitude de Warui quant à ouvrir la porte. Elle prit une bonne inspiration et osa.

La grande salle à manger était vide, excepté pour les deux adultes au fond. Siiko reconnaîtrait son père et découvrirait sa mère. Grande, imposante par sa prestance, richement habillée avec une touche pratique. Sa fourrure d'un bleu royal riche était complémentée par ses cheveux d'un noir profond. Ses yeux bleu ciel brillaient de sa forte santé et aura. Son visage était parsemé de quelques cicatrices, vestiges de rixtes et combats passés. Quand leur fille entra, suivie de Siiko, les deux nobles se turent, laissant un silence pesant tomber dans la salle.

Quand Warui parla de sa mère, Siiko imagina une personne grandiose. Ses paroles reflétaient toute l'admiration qu'elle avait pour elle. Elle décrivait la jarl comme les guerrières des livres : une prodigieuse guerrière à qui la province devait tout et une Dragonnière d'exception. Une légende vivante. Siiko voyait déjà son air sévère quand elle entrerait dans la pièce.

- Woah ! Elle doit être drôlement puissante, ta maman !

Et elle espérait que la sienne soit comme celle de Warui !

Siiko sortit du bain, prit une serviette et se sécha. Elle saisit la brosse de Warui pour se coiffer et se vêtit des vêtements qu'elle avait apportés. La robe lui descendait jusqu'aux pieds et la tenait chaud, contrairement à ses anciens habits qui gisaient au sol.

Warui mena Siiko à la salle à manger. Des voix éclataient derrière la porte, ce qui noua l'estomac de la fillette. Peut-être que le père avait déjà averti sa présence à la jarl. Sa nouvelle amie semblait hésiter quelques secondes et Loke partagea son angoisse. Siiko afficha une mine sereine mais ses doigts crispés la trahissaient. Warui mit fin au traque en ouvrant les portes. Dans la pièce se tenaient son père et sa mère, une Farïd resplendissante. Son visage griffé de cicatrices confirmait les dires de Warui. Une longue tresse noire, identique à celle de sa fille, tombait sur un pelage d'un bleu royal, couvert par une robe parée de richesses. Elleira, tel était son nom, figea Siiko de son regard d'azur, étincelant de force et de fierté.

Un silence plein de mal à l'aise régnait. Comme elle ne le supportait plus davantage, Siiko s'inclina maladroitement et bredouilla :

- Euh... bonjour, Ma Dame...

Elleira examina Siiko pendant quelques instants qui furent rompis par ses salutations maladroites. Surric avait les oreilles basses, il avait voulu mettre sa femme au courant, atténuer le choc. La jarl ne l'avait pas si bien pris. Visiblement, elle était irrité qu'une étrangère ait fait irruption dans sa demeure, sans son consentement, même si sa fille était à l'oeuvre. Quelque membres de la familles qui passaient devant la porte jetaient des regards curieux mais sans se mêler de la situation.

Warui s'avança d'un pas et s'inclina devant sa mère qui était toujours de son côté de la pièce.

- Gersemi... soupira Elleira.
- Ma... man?

La jarl se frotta le visage se levant pour rejoindre les jeunes filles.

- Désolée pour les arguments, un vaisseau Drow a été aperçu hier près de la côte.

Loke pencha la tête sur le tête en sifflant doucement. Warui le prit dans ses bras et le colla contre elle. Elleira s'inclina devant Siiko et lui tendit la main tout en continuant de s'adresser à sa fille:

- Selon les scouts, le navire se serait échoué, mais ils ont pu suivre deux paires de traces qui s'enfonçaient dans la forêt. Ils ont trouvé un vieil homme gelé et l'ont inhumé. La deuxième personne est encore non identifiée.

Elle leur fit signe de venir s'asseoir.

- Mais où sont mes manières? Gersemi, ton invitée doit être affamée! J'ai demandé à Arn de nous préparer les plus beaux morceaux pour ce soir, mais Loke mange à terre et pas sur la table!

Warui déposa son dragonnet qui lui faisait les beaux yeux. Sachant que sa fille tombait facilement pour son protégé, la jarl intervint:

- Je suis sérieuse.

L'albino se plaigna un peu mais Elleira ne revint pas sur sa décision. Surric tendit un chaise à Siiko et les plats arrivèrent peu de temps après. Après avoir pris quelques bouchées, le dragonnier prit la parole:

- Et que nous vaut cette visite en Syab, jeune demoiselle? demanda-t-il à la jeune hybride.

Siiko hésita à lever les yeux vers la jarl qui s'avançait vers elles. Mais finalement, elle osa la défier et se tint avec assurance. Elle s'attendait à ce que la guerrière passa à un savon à Warui, mais ce n'était pas le cas. Quand elle appela sa fille "Gersemi", Siiko fronça les sourcils avant de comprendre qu'il s'agissait du vrai nom de son amie. Bien sûr ! Son père avait parlé d'une leçon de magie, dans les étables. Warui était son pseudonyme de mage ! Mais Siiko oublia cette information. Son amie s'était présentée à elle sous le nom de Warui alors, ça resterait Warui !

À le mention du vaisseau drow, Siiko contint de justesse sa surprise. Les Faryd étaient vite au courant de ce qui se passait sur leurs terres et la fillette avait été naïve de croire que son arrivée allait être discrète. Ennedor avait été enterré. Siiko aurait voulu le faire soi-même mais son corps et ses doigts gelés ne l'avaient pas permis. Tout ce qu'elle avait su faire, c'était le remercier et lui souhaiter une vie meilleure là où il était à présent.

Quand Elleira évoqua une deuxième personne, Siiko allait dévoiler qu'il s'agissait d'elle mais on l'invita à s'asseoir. Elle s'installa à côté de Surric et dévora son assiette une fois servie. Sa langue découvrait le goût de la viande comme si c'était la première fois. Ces jours de détention avaient été si terrible qu'elle avait le sentiment d'avoir mangé du pain sec toute sa vie. Surric lui demanda la raison de sa venue ici. Siiko mit un temps à répondre, trop occupée pour avaler sa nourriture. Puis, elle commença :

- Eh bien...

Elle pensait inventer une histoire mais quel intérêt de mentir à ses hôtes ? Cette famille s'était montrée honnête depuis son apparition et se cacher la rendait mal à l'aise.

- Je suis la personne qui était avec ce vieil homme, déclara-t-elle.

Warui tendait discrètement des morceaux de viande à Loke, jetant des coups d'oeil vers sa mère en espérant ne pas se faire remarquer. Le dragonnet se prêtait au jeu et se comportait naturellement. Bien entendu, Elleira avait déjà réalisé leur cachoterie, tant que ce n'était pas la fois où le vouivre s'était dévoilé devant tout le monde durant banquet pour une célébration. Voir Siiko et Warui dévorer leurs assiettes mettait un sourire sur le visage des adultes.

À la réponse de la petite, seuls Warui et Loke furent surpris. Elleira et Surric restant tranquilles. La jarl essuya sa bouche avec un mouchoir et joint ses mains sur jambes.

- Les dires d'un navire Drow remontent à quand ils sont arrivés en Syab, quand ils sont passés à côté des Pics Griffus, expliqua-t-elle surtout à Warui qui était bouche bée. Les Zmar m'ont contactée et j'ai envoyé une escouade de dragonniers les suivre et les surveiller. D'après leur dires, je crois que Siiko soit la seule survivante dont nous ayons connaissance.

À moins d'avoir l'équipement ou les connaissances magiques nécessaire, survivre un naufrage en mer à Syab, surtout en hiver, relevait de la chance et du miracle.

- Est-ce qu'on a trouvé les Drows? demanda Warui inquiète.
- Quelques corps mais aucun encore vivant, répondit Surric. Néanmoins, le fait qu'ils soient venus si près de la côte est inquiétant. La garde côtière est avertie et les effectifs seront augmentés.

La Faryd blanche eut un léger soupir soulagement pendant Loke quémanda des câlins.

- Alors, jeune fille, que pensais-tu faire à partir de maintenant? s'enquirit Elleira auprès de Siiko.

Warui et Loke étaient surpris devant la révélation de Siiko alors que les souverains s'y attendaient. Les navires drows ne naviguaient pas aussi près des côtes de Syab et la situation inquiétait sa nouvelle amie. Cependant, la sécurité était renforcée et Warui se rasséréna. Apprendre qu'elle était la seule survivante attristait Siiko et la rassurait à la fois. Le dragon avait peut-être dévoré les drows mais aucun des enfants qui étaient avec elle n'avaient réussi à s'en sortir. C'était triste.

Quand Elleira demanda à Siiko ce qu'elle désirait à partir de maintenant, la fillette fixa Loke qui réclamait des caresses et Warui. Elle n'avait pas envie de quitter Syab. Si elle pouvait rester quelques jours, ça serait l'idéal. Elle pourrait s'occuper des dragonnets et peut-être se rapprocher de l'un d'eux pour devenir Dragonnière ! Elle éviterait ainsi d'être une prêtresse de Hyii, métier auquel elle n'avait jamais aspiré.

- Je ne sais pas, répondit-elle, en fait, je n'ai pas de famille et je vis dans un orphelinat depuis tout bébé. Je pourrais faire quelque chose pour vous ! Les dragons m'ont bien accueillie, je serais prête à donner mon aide pour les nourrir !

Elleira s'adossa contre sa chaise, réflexive, ainsi que Surric. Depuis la fondation du clan, il y avait des âges, seuls des Faryds s'étaient occupés des élevages de dragons. C'était une tradition silencieuse, chaque dragonnier était inscrit au registre dans les archives. Non pas que l'idée était mauvaise. Ils voulaient bien héberger Siiko mais un noble demandait toujours un service pour un service. Même Niiz qui avait la charge d'enseigner Warui avait été requise d'échanger des biens et possessions pour son logis et sa nourriture ainsi que de pouvoir garder Shelumiel avec elle, non pas qu'Elleira aurait assez cruelle pour renvoyer le petit chez lui par lui-même.

- Eh bien! C'est décidé! s'exclama Surric avec un sourire. Nous avons une écuyère pour notre fille!

Les yeux d'Elleira et Warui s'arrondirent en même temps et la même question fût énoncée par les deux:

- Quoi!?
- Penses-y, ma belle valkyrie, expliqua le Faryd bleu glace à sa tendre épouse. Warui sera dragonnière dans 7 ans, comme tout chevalier, elle aura besoin de quelqu'un pour entretenir son équipement et sa monture!

Elleira eut un tic au sourcil gauche.

- Dois-je te rappeler, cher chevalier, que Loke ne sera adulte que dans 7 ans? Que ferais Siiko durant ce temps?
- M'aider aux étables! dit Surric avec un visage triomphant. Le meilleur apprentissage est sur le lieu de travail. On a jamais trop de mains et les oeufs de Valeria sont sur le point d'éclore!

Elleira se tourna vers sa fille. Warui regardait Loke. Elle aimait l'idée d'avoir Siiko autour plus longtemps. Au peu de travail qu'un écuyer avait à faire dépendant du dragonnier, elle aurait plein de temps libre pour d'autres intérêts. La chanceuse, elle n'aurait pas à apprendre comment être un chef et résister à tabasser les nobles qui tapaient sur les nerfs.

Elleira prit une bonne gorgée de son verre.

- Pour le moment, Gersemi, on mettra un autre lit dans ta chambre. je n'attends aucune réponse en ce moment, je veux que tout le monde y songe, vous avez jusqu'à demain soir pour y réfléchir.

Un moment de réflexion s'imposa entre les Faryd et Siiko craignit un refus sec à sa proposition. Mais Surric annonça qu'elle serait l'écuyère de Warui. La fillette sursauta et ses yeux furent aussi gros que ceux de son amie et de sa mère. D'une même voix, les trois femelles s'exclamèrent :

- Quoi ?!

Surric expliqua son programme. Elleira semblait très réticente à cette idée qui plaisait énormément à Siiko. La fillette commençait à croire que son rêve allait se réaliser. Une dragonne avait pondu des œufs et ses bébés allaient bientôt naître ! Siiko espérait s'approcher d'eux à leur éclosion et être marquée par un des petits ! Oh, ça serait merveilleux ! Et elle et Warui pourraient voler dans le ciel avec leurs dragons ! Son cœur s'emballa de plus belle et elle ne remarqua pas qu'elle souriait d'un air rêveur, presque idiot.

- M... merci ! bégaya-t-elle, heureuse, je ferai de mon mieux !

Siiko mangea le reste de son repas dans un silence plein de reconnaissance et de joie. Peut-être l'avait-elle trouvé sa famille ? À la fin du repas, elle attendit que Warui se lève pour la suivre dans sa chambre. Une fois loin des parents, la fillette s'écria :

- Oh, Warui ! Ton père est si gentil ! J'ai toujours rêvé de m'occuper de dragons ! Je vais être ton écuyère, c'est fantastique !