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« Je ne te le fais pas dire, » osé-je en essuyant jus et bave d'Abbadir ; un léger frémissement m'avait pourtant prévenu … mais c'était peine perdue, car à peine cette mixture de baies sort que je suis d'ores et déjà un homme mort. Le dragon se cabre et crache un geyser haut comme les arbres, de sucre et de glaires comme jamais chimère n'aurait pu en faire récit avant moi ; je l'esquive, adroit, mais n'évite pourtant pas d'être plus collatéral en tant que dégât : ce que Sentoni reçoit voyage en latéral et cette cascade mouille mon arcade dans un carnaval loin d'être inodore mais multicolore ! Après ce ravage, le nomade et moi séchons nos visages. Ils rient aux éclats. Voyant Abbadir aussi englué que nous, son contrôle sur la situation a dû être minime de bout en bout ; je me dois d'applaudir les efforts du dragon, qui nous a fait l'honneur et le plaisir, à nous ses amis, de nous offrir une nouvelle occasion de rire.

« Bravo ! » dis-je, mains écartées en signe de sincérité. « En plus du petit-déjeuner spectacle, je sais désormais comment attaquent les dragons électriques ! C'était … pour le moins inattendu ; jusque là, j'aurais sûrement cru que ton cas suivait celui des dragons de feu. Qui crachent du feu. »

Je ris encore un peu avec eux, avant d'ajouter, sur un ton de conspirateur :

« Je me disais bien que tu n'appréciais pas cette jupe … mais tu sais, il suffisait de le dire plutôt que de la salir, mon ami. »

- Ce garçon sait. Ses amis sont aballardis par le talent d'Ego. Normal.

Il se tenait droit et fier. Une vraie arme de pointe, y'avait pas à dire. Des capacités comme ça, pas tout le monde en avait. Ce garçon était unique. La tête de ses deux copains valaient vraiment le coup. Pas grave si le petit-déjeuner était passé par les trous de nez. Ego aura tout le temps de manger une fois rentré à Cestra. Fallait pas faire attendre trop du plus le Basileus. Après y'allait avoir tout pleins de questions et beauuuucoup trop de choses à raconter.

- Zut... elle est vraiment sale... Ce garçon est pardon. Ego leva des yeux un peu gênés vers l'amie sauvage: le cadeau était taché et tout collant de jus de baies. Mais il sentait pas mauvais. Faut se passer sous l'eau pour enlever tout le sale. Mais... Ce garçon pointa le doigt vers la sortie: une faille toute sombre menant vers... la créature ? La créature est toujours dehors. Ces Filous étaient coincés ici pour toujours alors ?

Oups... c'était Scarlett qu'allait pas être ravie de voir sa jupe dans cet état. Je partageai une moue amusée et gênée à Melchior. Ma tête voulait dire clairement par cette expression "Je vais devoir changer de pays." Ou peut-être pas en fait. Je me relevai aussi, enlevant encore des morceaux de baies de mes cheveux.

"L'eau va prendre des couleurs avec nous trois. Mais ça va nourrir les poissons." Je regardai Abe de haut en bas avant de hausser les épaules. "Un coup dedans l'eau et elle sera comme neuve." J'y croyais pas du tout moi-même en vrai. "Tu pourras la garder... bien sur. C'est un cadeau."

Fallait espérer que la Dame le remarque jamais. Ou j'allais devoir donner quelques explications. En même temps, si elle découvrait ce que j'avais réussi à subtiliser chez elle... c'était que j'avais pas bien réussi à appliquer la leçon. Sinon: j'avais tout gagné dans l'affaire. C'était pas rien d'avoir comme trophée un bien de la Dame Blanche.

"T'inquiètes pas pour la grosse bestiole, Abbadir. Elle est partie et reviendra pas avant la nuit." Je commençais à me diriger vers le couloir rocheux qui nous ménerait à l'extérieur. "C'est pas les pires. Celles-la, quand elles te prennent: elles tuent. C'est parfois préférable."

J'aurais peut-être pas dû dire ça mais... c'était pas faux. Moi, j'aimais pas les êtres venant de l'obscurité, des Profondeurs... Les Autres étaient parfois un peu comme ça. Mais Scarlett venait de là et était différente. Comme Abbadir était différent des Autres que j'avais pu voir jusqu'à maintenant. Mais j'étais pas prête à approcher. Pas encore. Peut-être jamais.

"On retourne au lac ? On doit encore faire pas mal de chemin pour atterrir là-bas ! On va refaire des lianes et plonger dedans l'eau. " J'entrai dans la faille. "Je suis sûre je vous bats en saut ! Oh ! Oh ! Ooooooh !!! Tu crois tu pourrais me soulever jusqu'au milieu de l'eau en dragon et me faire plonger, dit Abe ? " Une fois dehors je sautillai partout en tirant la manche du copain blond. Je voulais trop essayer !

À chaque phrase que finit Sentoni, je frappe trois fois du poing dans l'herbe rase, un sourire de malice comme gravé sur mes traits boisés. La Dame frappe trois fois … mais peut-être que subtiliser sa vêture préférée l'amènera à tripler les blâmes qu'elle va distribuer. Nous nous apprêtons à lever le camp ; je lui fais écho, toujours en souriant :

« C'est préférable, effectivement, » avant d'ajouter plus haut pour l'autre enfant : « cette forêt reste sûre : même sous son ombre, de pareilles créatures ont des difficultés à évoluer pour chasser. Sous les lianes et si près des troncs, beaucoup sont retrouvées empêtrées. »

Je préfère que ce petit dragon ne soit pas paniqué par la connaissance de prédateurs mauvais jusque dans leur essence : s'il savait, même les Autres l'effraieraient. J'éparpille aux quatre vents les reliefs de notre campement et laisse parler entre-eux les deux enfants comme nous quittons cette clairière pour évoluer entre racines et fougères. J'espère que le dragonneau, s'il accepte ces plans, ne volera pas trop haut quand Sentoni ira à l'eau, qu'il ne lui arrive rien de méchant.

Ce garçon était dubitation. Y'avait quelque chose de bizarre mais il aurait pas su mettre le doigt dessus. En fait, vu que le Sensei et l'amie sauvage venaient de la même terre, ils devaient connaitre davantage qu'Ego. C'était normal. D'ou le fait qu'ils en parlent avec tout pleins de facilité et presque détachés et sans peur. Un jour, cegarçon aussi pourra faire tout pareil et il aurai plus jamais la peur.

Tous les Filous étaient sortis de l'endroit enfoncé dans la roche. Y'avait rien: Sentoni avait raison. Ego soupira, soulagé et prêt à affronter la nouvelle journée ! Surtout qu'il fallait marcher beaucoup ! Et ils allaient pouvoir rejouer dans le lac! Il devait poser une question... une question... une question ? Il savait plus, c'était sorti de la tête. Là: il voulait juste profiter des ses copains ! A la proposition de Sentoni, Ego se transforma directement en dragon, filant à toute allure pour revenir vers elle , sauter sur sa tête (sans force) et rejoindre le Sensei sur lequel il courait d'une épaule à l'autre avant de s'entourer autour de celles de l'amie sauvage en ronronnant. Un long trajet attendait et il devait garder les forces pour prouver ses musclassions à Sentoni !

Y'en fallait pas trop pour changer les idées du copain blond. C'était utile dans un sens. La réaction du Sensei n'avait pas échapper à mes oreilles: j'avais pas pu m'empêcher de sourire. Bientôt. Bientôt elle allait revenir. J'éspérais surtout. Mais bon, y'avait pas de raison que Scarlett s'en sorte pas.

On avait repris la route tranquillement, retournant au niveau du lac. Sur le chemin on jouait beaucoup avec Abbadir. Il était rigolo en forme de dragon. Peut-être qu'un jour on pourrait voler ensemble, sans risque. Mais pour le moment je pouvais pas dire. J'avais posé des questions au Sensei sur le chemin comme "Si tu manges des baies, est-ce que c'est un peu comme de l'auto-cannibalisme ?" ou encore "Ou si on mange celles de sur ta tête... on mange tes bébés ?". C'était sur cette dernière que Riza était revenue vers nous en se posant sur l'épaule du Sensei. Ca allait... elle avait pas l'air de vouloir picorer l'homme arbre.

Abbadir autour des épaules, je guidais la petite troupe pour qu'on arrive au bout d'une longue marche devant le gouffre. En bas: le fameux lac. En face de nous: les lianes. Mais pour le moment, je devais absolument reposer mes petites guiboles d'enfant. Je m'allongeai sur l'herbe, les pieds dans le vide.

"Pause ! La Sentoni est mourrue. Très le beaucoup." Le soleil avait déjà fait un long trajet dans le ciel et la nuit allait pas tarder. J'invitai Melchior à s'asseoir aussi. "On va faire le concours de plongeons Abe. Pose-toi un peu ou alors je te rejoins dans pas beaucoup de temps !" Je voulais parler parler un peu au Sensei, loin des oreilles du Voleur et ça impliquai de mettre le filous à l'éccart... Sinon, je poserai les questions plus tard.