On prend du repos (Ordres du docteur)

Musique

C'était hier qu'Elleira avait pris une importante décision. Après le nàttmàl. Elle y avait pensé toute la journée la veille. Ce n'était pas une décision à prendre à la légère. Surric en était presque tombé sur son arrière-train quand elle lui avait annoncé. Ordres du médecin, avait-elle dit. Krov n'était pas Dagni, mais Dagni n'avait pas 500 ans de pratique médicale. Surric savait très bien que cette période de 'repos' ne serait pas de tout repos. Sa femme était trop active pour rester dans un coin à regarder le temps passer. Cependant, il voyait qu'elle était plus fatiguée depuis quelques temps. Elle ne faisait rien d'extra, le thane se doutait que sa condition commençait à reprendre son dû. Elle devait vraiment se reposer, se dit-il quand elle s'endormit dans ses bras, comme elle faisait depuis vingt-et-un ans déjà. Il ne put s'empêcher de passer sa main sur la cicatrice maudite. Si seulement la lame avait passé à côté... Il ne pouvait rien y faire, de concret, mais il savait son support émotionnel plus qu'important.

Dès le matin, Surric se leva le premier. Il avait un tas de choses à faire. Elleira était étendue sous les couvertures. Son congé commençait en ce moment même. Après que son mari l'eut embrassée avant de sortir de leur quartiers, elle eut un soupir. Ça allait être difficile. La bibliothèque était bourrée de livres mais elle n'avait pas envie de s'enferme à lire. Elle voulait sortir de sa chambre. Prendre une marche en ville? Aller voir Dagni pour la dose de l'avant-midi. Avec lenteur la Jarl se vêtit et jeta sur ses épaules son manteau, le même depuis un an et demi, sur lequelle une lognue ligne foncée témoignait d'une coupure dans le dos qui avait simplement était recousue. La Farid n'était pas en fonction aujourd'hui, elle ne tresserait pas ses cheveux. Les minutes passèrent où elle se regardait dans le mirroir. Elle ne prenait jamais le temps de se regarder. Sa fatigue la frappait. Pour elle qui était toujours active, qui passait ses journées occupée, voir qu'elle en faisait beaucoup depuis trop longtemps. C'était quand la dernière fois qu'elle s'était reposée. Bon sang... c'était à son douzième anniversaire... elle avait besoin d'une pause...

Elle savait que Gersemi serait en classe toute la journée. Il n'était pas trop tard. Elle avait une idée en tête.  Il y avait quelqu'un avec qui elle voulait passer du temps, et son congé de fonction était un moment parfait. Un léger "toc toc" put se faire entendre à la porte. Elle devait être sur le point, ou déjà réveillée. Elle était arrivée depuis près de deux mois déjà et avec son train de vie, la Jarl n'avait pas pu passer de vrais moment avec elle. Elleira devait y remédier, parce que le temps filait rapidement.

- Siiko? C'est Mamma. Je peux entrer?

Allongée à plat ventre sur son lit, Siiko feuilletait un livre qu'elle avait emprunté à la bibliothèque. Depuis le temps qu'elle était à Syab, elle désirait en savoir plus sur leurs coutumes, mais surtout sur leur Histoire. Même si elle passait quelques textes, elle prenait son temps à visionner chaque illustration. Leurs couleurs scintillantes pétillaient et l'émerveillaient. Qu'est-ce qu'elle aimerait dessiner comme ça ! Alors qu'elle tourna une nouvelle page, elle entendit toquer à la porte.

C'était sa mère adoptive.

Keldra, qui dormait sur son oreiller, avait relevé la tête au son de la voix de la Jarl. Intriguée, Siiko alla ouvrir. Il était vrai qu'elle ne s'était jamais retrouvée seule avec Elleira, excepté pour des sujets familiaux ou à chaque repas. Cependant, la jeune fille n'avait jamais engagé une véritable conversation avec elle.

- Mama, bien sûr que tu peux entrer, l'invita Siiko, un peu inquiète en voyant l'air las de sa mère.

Elle retourna sur son lit et lui montra le livre, souriante.

- J'étais en train de lire. J'aime beaucoup les images ! Elles sont belles, hein ?

Elleira entra dans la chambre de sa fille. À ce rythme, ils finiraient par manquer chambres pour la famille. Il faudrait un jour creuser plus profond dans la montagne. La Jarl suivit sa fille jusqu’à son lit et s’assied à ses côtés. Elle tendit la main pour caresser Keldra derrière ses oreilles. La petite snødrak noire ressemblait à sa mère, sauf pour la fourrure. Elle était magnifique. Digne d’une drak des Sytha. Siiko se réjouissait de montrer son livre à sa mère. Elleira était surtout heureuse de la voir lire, ou essayer de lire, un livre en sybanès. C’était ses cours les plus importants, avec ses études médicinales auprès de Zima.

- J’reconnais l’livre, dit Elleira. Mamma nous lisait des passages, à moi et à Rhyas, quand on était plus jeunes.

Chacune de chaque côté de Freya, dans la chambre ‘royale’ avant de se coucher. Rhyas feignait de ne pas être intéressée mais écoutait avec attention. Ellie se souvenait que jeune, elle avait ce même intérêt pour les illustrations, laissant sa mère leur donner vie avec des mots.

- Elles sont très belles, répondit la Farid bleue à la question de sa petite hårløse. J’suis incapable de dessiner, même mes signatures attirent l’attention: on dirait un valp de 3 ans qui essaie d’créer un chef-oeuvre. J’suis douée aux sverd et aux Signes. Et voler sur un drak, mais ça… ça prend jusse d’la pratique.

Elle avait effectivement l’air las. Les épaules basses, les vibrisses tombantes, elle avait un peu plus de cheveux qui tombaient autour de son visage. Mais son visage était fatigué. Bien qu’elle tentait de s’insuffler un brin de vie.

- Ton far prend l’relève jusqu’à ce que j’me sente mieux, expliqua Elleira à Siiko. Mais ça va sans doute durer encore un moment. J’ai déjà contacté quelqu’un, pour me soigner. Eul’chirurgien impérial, Alexander Krov. Il va v’nir a’ec sa fille, Elizabeth, pour Yule. Vraiment connaître mon état d’santé, et comment y r’médier.

Elle craignait de mauvaises nouvelles. Elle remettait une telle urgence à plus tard depuis trop longtemps. Pour tout ce qu’elle savait, elle avait déjà passé le point de non-retour. Et cela la terrifiait.

- Astrid et Asger vienne à la maison pour Yule, la famille au complet, encore une fois. Et Leif, le fiancé d’Warui. Faudra l’rencontrer lui aussi. Et Zima et Shel vont être a’ec nous bien sûr.

Siiko aurait plein de gens à voir, c’était certain.

- Je suis pas venue que pour parler d’ça. Je voulais savoir c’que t’aimerais faire aujourd’hui. Jusse nous deux. Et Keldra. Ce que tu veux.

Aller en ville, en forêt, à la Volière, aux sources sauvages, elle choississait!

Siiko n'était pas étonnée que sa mère connaissait déjà ce livre. Sa lecture était d'une simplicité enfantine et pouvait être feuilleté par un très jeune Farïd, ce qu'elle ne lui reprochait pas, car elle apprenait le sybanès. Même si elle travaillait beaucoup l'écrit, elle arrivait à saisir quelques expressions à l'oral et comprenait mieux l'accent de sa famille.

Elleira avait le même avis sur les illustrations.

- Dessiner, ça demande tellement de patience et de pratique. Je ne pense pas en avoir pour attendre un tel niveau.

Siiko avait besoin de se dépenser, de courir et de grimper aux arbres, ou peu importe sur quelle surface. S'asseoir et s'appliquer, ce n'était pas pour elle, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de rêver d'être une grande artiste. Enfin, on ne pouvait pas faire tout ce qu'on voulait dans la vie. Et être une Dragonnière, c'était merveilleux.

Sa mère adoptive confirma ce que la jeune fille pensait : elle était effectivement épuisée et avait besoin de repos, comme l'avait exigé Dagni. Siiko se rappela de la fois où elle l'avait vue faible et vacillante. Le cœur de la jeune fille se serra en espérant qu'Elleira n'avait rien de grave. Cependant, elle avait de la chance de pouvoir être examiné par le chirurgien impérial, bientôt. Siiko était si excitée à l'idée de rencontrer des personnages hauts placés dans l'Empire. Yule approchait à grands pas et le reste de la famille allait découvrir la nouvelle fille d'Elleira.

La Jarl changea de sujet de conversation et proposa à Siiko de sortir.

- Eh bien, j'aimerais faire un tour en forêt.

Keldra se redressa vivement, comme pour approuver que c'était une excellente idée. Siiko espérait que sa mère serait capable de les suivre toutes les deux.

Une balade en forêt pourrait faire du bien. Sortir de la maison, voir le manteau blanc recouvrir la province, le son de la neige qui craque sous les pas. Elleira embrassa Siiko dans les cheveux à cette proposition.

- Alors, préparons-nous.

Quel drak allait-elle choisir aujourd’jui? Et Keldra qui paraissait excitée, tout comme sa future ridder.

- On va aller manger un peu, avant. Suis-moi.

Elle laissa Siiko se vêtir un peu plus et lui passa son manteau sur les épaules ainsi que sa cape. Elle devrait être au chaud. Ne pas oublier les bottes de fourrure, juste pour elle. Une engelure pouvait arriver si vite. Juste un arrêt aux cuisines, ne pas avoir le ventre vide. Et pendant le trajet jusqu’aux cuisines, un arrêt chez Dagni, boire sa médecine, avec un coup de ma main de la part du colis de Lily. Et finalement leur première destination. Siiko eut droit à une assiette variée et Elleira à des aliments qui correspondaient à sa diète présente.

- Aimerais-tu aller faire un tour aux sources d’eau chaudes aux montagnes, à la fin d’la promenade? On pourrait y croiser d’autres snødraks.

Elle savait que Siiko voulait rencontrer la meute d’Odin. Pourquoi pas? Avec sa mère, elle ne risquait rien. Celle-ci termina son assiette et remercia Sven et les autres de les avoir accommodées. Elle passa le mot à Rhyas qu’elle serait à l’extérieur avec sa jente pour une partie de la journée. Siiko n’avait pas cours avec Zima aujourd’hui. C'était un moment mor et jente. Elle y tenait.

Siiko sourit quand sa mère adoptive embrassa sa chevelure dorée. Elle sauta du lit pour aller s'habiller chaudement. Quand Elleira lui proposa de prendre un repas, elle se rappela qu'elle n'avait pas beaucoup mangé et elle accepta avec plaisir. Une fois passées chez la guérisseuse, mère et fille allèrent aux cuisines. Siiko dévora une assiette de légumes et de viande de cerf. Elle avala avant de répondre à la question d'Elleira :

- Eh bien, oui, pourquoi pas ! Je veux aussi rencontrer les vouivres aux alentours, si c'est possible.

Rencontrer ces créatures à l'état sauvage, c'était une idée tellement palpitante. Keldra semblait cependant appréhender la rencontre, mais la jeune fille la rassura d'une caresse. Lorsqu'elles eurent terminé leur repas, elles partirent enfin vers les étables pour choisir quelle vouivre chevaucher.

- On pourrait cueillir des fruits pour des tartes, des gâteaux ou encore même pour des parfums. J'avais proposé ça, une fois à Zima. Ça pourrait être sympa, non ?

- On aura peut-être de la chance et Odin s’ra là, dit la Jarl.

Les autres devraient y être. Avec les jeunes draks, de l’âge de Loke et les nouveau-nés. Warui n’avait pas encore rencontré Odin, Elleira pensait régler les problème bientôt, et emmener Leif aussi. Astrid et Asger connaissaient le vieux drak. Il se tenait à son territoire, ne venait à Alserd que pour les besoins de reproduction du haras, ou quand sa ridder voulait lui faire goûter la vie citadine pendant un jour ou deux.

- Allons chercher tout ça, je suis certaine que tout le monde apprécierait.

Après avoir laissé les marmitons les débarrasser de leurs couverts, Elleira prit les devant et mena Siiko aux écuries. Les garçons d’étable s’y trouvaient. Fafnir et Heimdall, Sif et ses bébés, avec Freya et Valéria, Ratatøskr et Brøkkr. Beaucoup de boules de poil, aux couleurs et motifs diverses, qui les saluèrent avec des couinements et piaillements, comme de gros chiots. Elleira alla préparer Fafnir, câlinant chacun des draks avant de faire monter Siiko sur Fafnir et de le chevaucher à son tour.

- On y va?

Elle donna un coup de bassin à Fafnir et le snødrak sortit du manoir pour s’envoler au-dessus d’Alserd et se diriger vers la forêt.

Les petites vouivres accueillirent mère et fille en couinant. Quelques-unes manquèrent de faire tomber Siiko qui s'appuyait sur Elleira. La Jarl prépara Fafnir pour le vol, une des vouivres que la jeune fille n'avait jamais montée, mais qu'elle avait aperçue plusieurs fois dans les étables. Elle grimpa sur son dos à l'aide de sa mère qui s'assit à son tour. Fafnir sortit et prit son envol.

Siiko ne craignait plus d'être dans les airs, mais elle était toujours impressionnée de voir le monde d'aussi haut. La ville disparaissait derrière elle et les arbres se pointaient à l'horizon et grimpaient sur les montagnes. Fafnir se posa à l'orée de la forêt. La jeune fille descendit et fut surprise par la neige qui recouvrait le sol et enfouissait la moitié de ses bottes.

- Génial ! C'est tellement beau quand personne ne l'a piétinée !

Effectivement, excepté quelques empreintes d'oiseaux, la couche était vierge.

- Il y a plein d'animaux, ici ? Ou c'est plus loin ?

Elles avaient passé par-dessus Alserd, les citadins habitués à voir les formes ailés des snødrak de leur Dame. Quelques barn pointèrent Fafnir du doigt pendant que le drak sable et blanc survolait la capital. Une fois à l’orée des bois, Elleira se pencha pour le faire descendre. Fafnir atterrit en douceur, soulevant de la neige poudreuse avec le battement de des ailes pour ralentir la chute et se poser sans choc. Ellie le gratta derrière les oreilles. La neige était encore vierge. Aucune trace, sauf d’oiseaux. Lesdits oiseaux chanteaient dans un arbre pas trop loin.

- Ce s’rait un peu plus loin. À moins de kekchose, on en croise pas beaucoup au début des bois, répondit la Farid cérulée.

Elles n’étaient pas venues chasser, sinon elle aurait revêtit autre chose et emmené un arc ou deux. Elle emmènerait sa fille chasser un jour. Elle avait promis de faire de même avec Gersemi, Leif lui montrerait peut-être en premier. Ils pourraient chasser un sanglier pour Yule. C’était une idée.

- Si quoiqu’se soit, on va p’t’être croiser des draks.

Des petits en train de jouer, surveillés par leurs mères. Après avoir marché pendant quelques moments, Elleira fit signe à Siiko et Keldra de s’arrêter. Fafnir était déjà immobile. Elle avait entendu une branche craquer. Et une forme brun marron derrière les sapins. Elle ne voyait pas ce que c’était. Fafnir était calme, attentif. Il guettait les alentours.

Oui, cette forme aurait pu être une vouivre, mais elle était trop petite pour en être une. Ou alors, cela aurait pu être une jeune qui avait échappé à la surveillance de ses parents. Mais elle se révélait être un lièvre. Une petite branche avait craqué sous ses dents et, lorsque des paires d'yeux s'étaient braquées sur lui, il s'était figé de peur.

Siiko regardait l'animal avec un sourire amusé qui disparut quand Keldra fila à toute allure. La petite drak sauta maladroitement sur le lièvre qui détala en lui envoyant de la poudre dans les yeux. Même si elle venait de le perdre de vue, elle décida pourtant de le poursuivre, ignorant les ordres de sa maîtresse. Siiko soupira d'exaspération et lui courut après. Elle se protégea le visage des branches épineuses des sapins qui lui arrivaient dans la figure et tomba dans la neige. Quand elle se releva, elle vit Keldra qui cherchait sa proie près d'une étendue d'eau gelée.

- C'est bon, Keldra ! Reviens ! Il est sans doute loin maintenant.

La petite vouivre lui lança un regard plein de malice avant de s'élancer sur la glace. Siiko hurla une nouvelle fois son nom et la poursuivit. La drak couinait et bondissait sur le lac, espiègle. La jeune fille hésita à la rejoindre, mais se rassura après avoir analysé l'épaisseur de la glace. Avec prudence, elle avança à petits pas sur la surface.

- Bon, arrête ça et reviens ! Mama ne va pas être contente et elle est trop fatiguée pour...

Un craquement la fit sursauter. Siiko baissa les yeux vers ses pieds où une toile de fissure se formait. Quand l'eau surgit, elle tenta de courir jusqu'à la rive et elle tomba. Les craquelures se firent plus grandes sous son poids, pourtant si léger. Keldra poussa des cris de détresse et n'osa pas la rejoindre. Tremblante, Siiko sentit des larmes de terreur mouiller ses joues. L'eau remontait sur la glace et la menaça dans l'emporter dans les profondeurs.

Il y avait des animaux dans le coin. Loin d’un cerf ou d’un élan, c’était un lièvre. Le petit animal commença à fuir, poursuivi par la jeune drak noire, excitée de sortir et voir le monde. Siiko couru à sa suite, s’enfonçant dans les bois. Les petites exploraient les alentours pour la première fois. Attendrie, Elleira eut un sourire. Un peu moins quand les deux gamines furent éloignées, et que Siiko ne semblait pas pouvoir ramener sa drak vers elle. La jarl se mit à leur poursuite, Fafnir la suivant. Et merde… déjà haletante, Elleira appela la jeune gullhår:

- Siiko! Keldra! Re… revenez! haletait-elle.

Elle dut s’arrêter dans sa course, une main sur la poitrine. Son coeur battait la chamade. Fafnir lui offra un support, quelques secondes, reprendre son souffle. Des cris arrivèrent à ses oreilles. Des plaintes de Keldra. Fafnir se crispa. C’était mauvais. Le snødrak n’avait pas de petit mais il était un bon oncle. Si Keldra criait… non… non! Au diable le repos! Elleira reprit sa course, les oreilles boudonnant, sa vision se brouillant et le souffle court. Siiko!

- Si… Siiko! appellait-elle avec inquiétude.

Ils arrivèrent au bord d’un lac gelé. Pas si gelé en fait. Keldra était sur la glace, effrayée. Et sa maîtresse!?

- HAZEL! hurla Brynhildr en voyant où se trouvait sa fille adoptive.

Elle enleva ses vêtements chauds et les jeta dans la neige.

- Fafnir! Vas chercher Keldra!

Le drak gronda et s’envola pour aller cueillir la jeune drak noire. Elleira couru sur la glace et sauta dans l’eau. C’était tellement glacé, comme des milliers d’aiguilles qui lui rentraient dans la peau de toutes parts. C’était si froid elle avait la sensation de brûler. Elle remonta sa tête à la surface et prit Siiko dans ses bras. Pas facile de signer sous l’eau! Fafnur avait ramené Keldra sur la rive. Aller… un peu d’effort! Des flammèches bleues se formaient avec difficulté au coin de ses lèvres, ses muqueuses bleuies par le froid. Un autre effort! Les flammes prirent un peu plus de vigueur, même si maladivement foncées. Elleira ouvrit la gueule et cracha un jet de flammes qui fit fondre la couche de glace les séparant de la berge. Elle emmena Siiko avec elle. Elle réussit à mettre sa fille au sec. Elleira la recouvrit de ses propres fourrures qu’elle récupéra de la neige. Elles étaient sèches. Fafnir se coucha autour d’elles. Elleira se laissa tomber contre le flanc du drak. Elle avait mal partout. Ses vêtements mouillés pesaient et n’aidaient en rien. Trop fatiguée pour faire un feu… trop fatiguée pour user de magie à nouveau… son sang battait à ses tempes, comme un tambour.

- K… Kel… dra… tentait d'articuler Elleira entre respiration difficile et froid mordant qui la gelait sur place, é… écoutes… ta…. m… ma… mamma…

Elle ne sentait plus ses oreilles ni ses pattes ni ses queues. Impossible de se retenir de greloter non plus. Mais Siiko était hors de l'eau.

Siiko essayait tant bien que mal de s'accrocher aux morceaux de glace qui basculaient vers les profondeurs. Malgré sa faible santé, sa mère allait lui porter secours et la jeune fille sentit une petite flamme d'espoir naître dans cet enfer gelé. Les eaux l'emportèrent quand elle vit Fafnir fondre sur Keldra. Elles l'étouffèrent et la brûlèrent jusqu'aux os. Siiko ne se rappelait plus de cet épisode, mais tout s'était vite passé. L'air revint à elle comme la lumière et ses poumons l'aspirèrent goulûment. Siiko toussa et crut qu'elle allait vomir. Elle se calma peu à peu alors que ses membres s'entrechoquaient de plus belle. Elle craignait même que ses dents se brisent à force de claquer. La dernière fois qu'elle avait eu aussi froid, c'était quand elle était arrivée en Syab. Mais son état ne pouvait pas être pire que celui de sa mère. Keldra avait retenu la leçon. Cet accident l'avait couverte de honte. Siiko tendit une main pour la pardonner, mais la vouivre recula, abattue.

- Mama... je... ce n'est pas de sa faute. Elle est toute petite. Oh ! Ni elle, ni moi ne voulaient que ça arrive... Je suis désolée... Je voulais juste faire un tour avec toi...

Sa respiration fut secouée de sanglots, cette fois. Siiko ne savait pas pourquoi elle se sentait responsable. Elle aurait aimé que cette journée ne tourne pas en catastrophe. C'était la première fois qu'elle passait autant de temps avec sa mère adoptive.

La jeune fille se reprit et enleva les fourrures que lui avaient mises Elleira.


- On doit rentrer. Je... nous devons prendre un bain chaud et une bonne boisson.

- J-je s-s-suis pas fâ-fâchée, balbutia Elleira les bras repliés contre elle.

Non. Elle n’était pas fâchée. Comment auraient-elles pu savoir que la glace céderait sous le poids de Siiko? Elle n’était pas fâchée. Elle était soulagée de la voir en vie. Siiko se sentait coupable. Mais elle n’avait pas de raison de l’être.

- M-mais… p-pe-petite n’excuse p-pas ne pas é-écout-t-ter, réprimanda la jarl à la jeune drak d’obsidienne. P-prends ça e-et souvi-viens-toi de pas pa-partir s-s-s-eule…

Elle leva ses mains avec peine et misère pour souffler sur ses doigts qui répondaient à peine, avec l’espoir de les réchauffer. Juste un souffle tiède mais ça faisait du bien.

- Un-un b-bon bain… o-oui… acquiesca la Farid d’azur. F-Fafnir…

Le drak se leva pour laisser Siiko monter sur lui. Couché à plat ventre dans la neige pour faciliter l’escalade. Elleira se releva, par miracle selon elle, avant de retomber dans la neige. Ses jambes refusaient de la porter plus de quelques secondes.

- S-sk-skitt.... marmonna Ellie, le visage à moitié enfoui dans la neige.

Elle était fatiguée, elle ne voulait plus bouger. Ses membres ne lui obéissaient pas de toutes façons. Les alentours s’obscurcissaient. Elle s’endormait? Une souffle puissant lui foutta le visage. Fafnir se leva, Siiko et Keldra sur son dos. Il leva la tête droite et haute, les ailes déployées. Une énorme patte blanche se posa à côté du visage d’Elleira. Une forme la fit tourner face au ciel. Un grand visage carré aux cornes relevées vers l’avant la regardait. Un immense snødrak aussi blanc que la neige qui les entourait. Des cicatrices sur le corps et les écailles, il y avait des tresses de pierres précieuses. Il avait les yeux aussi doré que l’or, et Siiko ne pouvait avoir aucun doute sur l’identité du mâle car elle connaissait au moins un de ses fils qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau.

- Odin… souffla la Jarl.

Le grand drak blanc lui donna un coup de langue sur le visage avant d’ouvrir sa gueule et de la soulever par le dos de ses vêtements. Il déploya ses ailes et grogna à l’attention de Fafnir. Les deux mâles s’envolèrent et filèrent vers le manoir. Elleira ferma les yeux durant le trajet. Et ne les ouvrit qu’une fois au manoir, dans son lit. On avait changé ses vêtements, sa fourrure était sèche, le soir tombait. Les paupières lourdes, elle regarda autour d’elle. Warui était couchée à ses côtés, endormie. Et Siiko? Où était Siiko?

- S… Sii...ko? appela-t-elle faiblement.

Les pleurs de Siiko s'étaient calmés, mais la panique ne l'avait pas quitté. Les paroles de sa mère ne réconfortèrent pas Keldra qui n'osait regarder les deux Farïd. Siiko la prit dans ses bras et monta sur le dos de Fafnir qui s'était abaissé pour accueillir tout le monde. Elleira tomba dans la neige. Ses membres ne voulaient plus lui obéir et réclamaient du repos. Siiko s'apprêtait à descendre pour l'aider à la relever, mais un puissant battement d'ailes l'arrêta.

Une vouivre mâle aussi majestueuse qu'effrayante se posa près du groupe. Ses écailles étaient plus blanches que les nuages qui parcouraient le ciel, plus blanches que la neige de la forêt. Ses iris formaient une couronne d'or autour de ses pupilles. Siiko ne pouvait soutenir son regard. Elle avait évidemment deviné qui était ce dragon bien avant que sa mère ne prononce son nom. Odin rassura la Jarl et la porta. Les deux vouivres décollèrent et volèrent jusqu'au manoir. Siiko ne quitta pas sa mère des yeux et s'inquiéta davantage quand elle la vit s'évanouir.

Une fois arrivés, la jeune fille sauta du dos de Fafnir et courut en hurlant le nom de Dagni. Sa voix pleine de détresse alerta tous les occupants de la maison. Siiko croisa la guérisseuse et son père et leur raconta l'accident. Elle dut répéter plusieurs fois l'histoire et les conduisit finalement vers la blessée.

Sa mère fut prise en charge. Siiko avait insisté pour rester auprès d'elle, mais on la mena dans sa chambre. Quand les soins furent appliqués, la jeune fille et Gersemi accoururent vers le lit où Elleira dormait. L'héritière se coucha aux côtés de sa mère tandis que Siiko se posa à la fenêtre, encore morte d'inquiétude. Mais Elleira se réveilla bientôt et l'humaine s'avança jusqu'à son chevet.

- Mama, tu es sauvée. Les dragons nous ont amenées ici.

Elle s'accroupit pour avoir sa tête à la hauteur de celle de la Jarl.

- Je devrais prévenir les autres que tu es réveillée. J'ai dit que tu devrais boire une bonne boisson.

Musique

Elleira regarda autour d’elle. Warui dormait à poing fermés. La journée avait été épuisante pour elle? La jarl tourna la tête vers la fenêtre, des bruits de tissus et de pas sur la pierre. Siiko... Les paroles de la petite réveillèrent sa lille soster qui se frotta les yeux et s'assied sur les draps.

- Mamma!

Brynhildr se souleva avec ses bras tremblant pour s'adosser contre ses oreillers. Elle cligna des paupières à quelques reprises. Sa vision se replaçait. Elle posa sa main tremblante sur les cheveux de Siiko. Aux dires de la jeune menneskelig, Warui sauta du lit.

- Vais y'aller. T'restes a'ec Mamma.

Elles avaient besoin de récupérer. Siiko aussi était allée dans l'eau. Même si elle l'avait mieux prit que leur mère. Elleira ne se sentait pas capable de se lever du lit, pas pour le moment. La petite albinos sortit de la Porphyra en fermant la porte doucement, laissant Ellie et Siiko seules. La jarl fit signe à sa petite de monter sur le lit pour la rejoindre.

- J'l'avais dit... qu'on verrait... des draks sauvages... chuchota-t-elle en souriant. Mais j'pensais pas... qu'ce s'rait d'cette façon.

Les moments où elles étaient seules, elle en profita pour cajoler Siiko. Elle avait eu si peur de la perdre. Elle n'avait pas réfléchi, elle avait agi par instinct, ignorant sa santé. Son corps lui faisait savoir en ce moment, avec ses pattes lourdes comme du plomb, mais elle s'en remettrait, pas vrai? Sauf qu'elle ne souvenait pas avoir décidé de prendre une baignade glacée de son propre gré. Il arrivait de traiter des cas comme le sien, Alserd était une ville côtière, et les quais pouvaient être glissants. Elle qui était sensée prendre du repos... ça ne devrait pas être difficile de la garder dans son lit jusqu'à ce que son corps se décide de lui obéir de nouveau. Et que sa température redevienne normale.

Warui revint Surric et Dagni, Rhyas fermait la marche. Le thane sauta presque au cou de sa femme, l'embrassant comme s'il la voyait pour la première fois depuis des lustres. Dagni dut les séparer, avec une tasse un peu fumante. Gersi en avait une, elle aussi, qu'elle donna à Siiko. Surric dut aider sa chérie à boire la sienne. La vague de chaleur faisait tellement de bien... Elle se laissa emmitoufler dans les couvertures et les oreillers. Elle avait sa famille avec elle. Surric borda Warui et Siiko. Ils les rejoindrait bientôt. Pour le moment, elle avaient besoin de repos. Dagni dit à Siiko qu'une fois sa mère assez réchauffée, elle pourrait prendre un bain, mais qu'il était encore un peu trop tôt. Une autre couche de couverture fut ajoutée sur le lit. Elleira était déjà endormie. Warui suivit peu de temps après, un ronron s'élevant de la gorge de la jarl.

Gersemi quitta le lit et la chambre, laissant Siiko et sa mère seules. La main de la Jarl caressa les cheveux dorés la jeune fille qui ferma les yeux à ce doux contact. Elle l'invita ensuite à s'asseoir à ses côtés, ce que Siiko s'empressa de faire. Elleira la cajola comme une vraie maman. Dans cette étreinte forte et douce à la fois, Siiko sentait la terreur d'une mère qui avait cru perdre son enfant. La jeune humaine n'avait jamais ressenti un sentiment d'amour et de tendresse envers une femme plus âgée. Les prêtresses l'avaient déjà prise dans ses bras, mais rien n'était comparable à ce câlin. C'était donc ainsi, l'amour qu'éprouvait une fille envers sa mère...

- Ouais, c'est dingue...

Siiko ne savait comment s'exprimer sur ce qui s'était passé. Elles avaient échappé à la mort à cause d'un bête jeu. Elle n'en voulait pas à Keldra. Des liens s'étaient renforcés entre la mère et sa fille adoptive.

Surric, Dagni et Warui revinrent avec des boissons chaudes. Son père embrassa sa femme, rassuré. Siiko s'écarta pour les laisser un moment seuls. Une fois le couple séparé et les couvertures préparées, elle s'allongea sur le lit avec sa sœur, bordée par Surric. Elle ferma bientôt les yeux et se laissa bercer par les ronronnements de sa mère.