Un duo mirobolant

Derniers jours à travailler dans le magasin familial et derniers jours de formation auprès de Mémé. En attendant, qui disait "derniers jours", voulait dire qu'il en restait... dans un sens. Je me retrouvais donc à devoir garder la boutique et à préparer les nombreuses commandes notées dans le carnet de Maman. Assise sur ma chaise, derrière le comptoir, je machonnais pensivement mon crayon. Mes affaires n'étaient toujours pas prêtes pour mon futur déménagement: l'émancipation tant attendue (à 2 rues de la maison... mais tout de même !) et surtout... le début d'une toute nouvelle carrière ! J'avais eu beaucoup de chance de tomber sur le Docteur Rivail, heureusement qu'il n'en était pas mort d'ailleurs.
Tout cela ne s'était produit pas plus tard qu'hier au soir... et Mémé voulait que je travaille aujourd'hui. Comment je pouvais me concentrer sur les commandes et les clients attendant, en face de moi, des articles pleins les bras, quand une telle nouvelle venait de bouleverser ma vie ? Une minute...

- Bon, vous comptez me fixer comme ça toute la matinée ou vous me faites payer mes articles, mademoiselle Tramontane ? J'ai pas la journée.

- Ah ! Pardon-pardon-pardon, madame ! M'éxclamai-je, sortie de ma rêverie.

Je plaçai les produits dans un sac que je tendis à la cliente, qui continuait à me regarder, les sourcils froncés. Elle ne semblait pas vouloir partir...

- Ca fait combien, Zéphir ? Soupira-t-elle. Oups... je crois que ma paye allait être encore bien mince. Je fini par encaisser la dame qui s'en alla dans un tintement de clochettes. Cette dernière me refaisant  entendre son doux carillon quelques secondes après. Un nouveau client ?! Etant encore en état d'éveille, je me dirigeai vers l'entrée, trébuchant sur une late du plancher et écrasant, au passage, la queue d'Anathème qui dormait sous le bureau, allant saluer cette nouvelle tête. Croiser des non-habitués de moins de 60 ans ne m'était jamais arrivée mais... n'oublions pas les bonnes manières.

- Bienvenue chez les botanistes Tarmontane ! Vous vous êtes perdue ?

Je fixais la jeune dame qui venait d'entrer dans la boutique, mes lunettes descendant progressivement le long de mon nez. Anathème, derrière, ne semblait pas s'ennuyer: les bruits de pots renversés, de vases cassés accompagnés de miaulement voulaient sûrement signifier un mécontentement à mon égard. Je me reconcentrai sur la nouvelle cliente, que je n'avais pas lâché du regard pendant que je réfléchissais à propos de mon chat.

- Les botanistes Tramontane... c'est aussi une boutique... je crois. Nous étions bien dans le magasin, non ? J'examinai la pièce du regard en tournant sur moi-même: le comptoir... Anathème... mon chapeau... mon balais... Mémé dormant sur sa chaise... Oui. On était bien à la maison. Mes yeux se reposèrent sur la cliente, un sourire commençant à poindre sur mes lèvres. Vous m'avez bien eu.

Nous restâmes ainsi à nous fixer pendant quelques instants, sans un mot. Elle était rigolote. Son style était différent de ce qu'on avait l'habitude de voir à la capitale. Si Mémé était éveillée, elle approuverait à coup sur ses vêtements. Elle avait tenté de porter des tissus plus... legers, une fois. Mais les clients n'avaient pas voulu franchir la porte. Elle restait donc avec son châle maintenant. Dommage. C'est bien de changer. Oh... la cliente Zéphir !

- Vous recherchez quelque chose en particulier ? demandai-je enfin, tout en remontant mes lunettes.

- Comment je peux revenir à moi si je ne suis pas partie ? Pas le temps de terminer ma question que la nouvelle cliente me tendit une liste plus longue que le casier judiciaire de Tonton Chourave. Je l'examinai consciencieusement à la lumière du soleil qui traversait les grandes fenêtres de la boutique. Des pigments vous dites ? Effectivement nous en possédons de nombreuses sortes. Après... je baissai le parchemin, fixant la jeune dame, cela dépend de l'usage que vous voulez en faire: peintures, pâtisseries, liduides, solides,... certains pigments, de notre création, permettent de faire de ravissants effets en les mélangeant. J'ai d'ailleurs réussi à en créer un qui, liquide et injecté sous la peau, brille dans le noir. Par contre, j'attends encore d'observer les effets secondaires. Fis-je en pointant Anathème du pouce, derrière moi. J'avançai dans les rayons, l'invitant à me suivre. Ca question me surprit... ma bague ? Mais.. comment faisait-elle pour voir sous mon gant ?! Ah... je les ai encore oublié à l'étage. soupirai-je en regardant mes mains. Merci. D'ou elle vient ? Bah... de mon doigt...

- Vous êtes encreuse ! Fantasmabuleux ! M'exclamai-je d'un coup en sautant sur place, faisant vibrer les étagères, tomber quelques fioles et grogner Mémé dans son rocking chair. Oups... pardon. je me penchai vers la cliente, la main près de la bouche avec mon sourire carnassier de dealeuse et mes yeux plus brillants de sournoiserie que jamais. J'ai pas mal de produits à vous montrer si vous le voulez bien. Chuchotai-je. Le problème c'est que je peux pas me les injecter seule... pourtant il faudrait qu'ils soient testés sur un corps humain. Vous pourriez m'aider peut-être ? Sutrout que... je montrai mon bras sur lequel était dessiné mon tatouage attestant mes compétences en Botanique. J'ai bientôt fini mon apprentissage, il faut donc le compléter. Si je vous fournis les encres, vous pourriez me le faire ? Je me redressai violement, me cognant contre le meuble derrière moi. Chancelante, je me dirigeai vers les escaliers situés derrière le comptoir, en veillant bien à ce Grand-mère soit profondément endormie. Une fois fait, je fis signe à la cliente de me suivre. Mes pigments secrets n'étaient pas connu de la famille. C'était en en fabriquant quelques uns que, une petite erreur de calcul m'avait explosée à la figure: me dotant d'une chevelure bleue aus reflets mauves et... d'une chambre un peu plus aérée.

Je montai les escaliers quatre à quatre, manquant de glisser sur quelques affaires qui trainaient sur le chemin. Finalement, nous arrivâmes dans ma chambre. J'ouvris la porte en grand et invitai la nouvelle cliente à entrer.

- Bienvenue dans mon antre ! Ne faites pas attention aux désordres et mettez vous à l'aise. Je me dirigeai vers l'endroit ou devait se trouver mon lit afin d'enlever deux-trois choses et de libérer un espace suffisant pour que mon invité puisse s'asseoir convenablement. Bon... euh... alors... Je réfléchissais, faisant le tour de la pièce avec mes yeux. Ou j'ai bien pu ranger ça ? Ah ! Oui. Je me dirigeai vers l'armoire située près de la fenêtre, l'ouvris, laissant se deverser un torrent de tissus et de flacons sur le sol. Parfait. Je montai sur mon promontoire improvisé et fouillai sur les étagères du haut. Oh, Anathème m'aide pour certaines expériences mais sinon, la plupart du temps, je préfère faire les tests sur moi-même: ça permet de se faire une idée plus juste des résultats et de certains ressentis. Répondis-je à sa question. Ne vous en faites pas, je suis quelque peu... immunisée ? Contre certains effets. Et au pire des cas. Mon corps n'est qu'une enveloppe changeable au grès de mes envies. C'est vrai que je préfère... Ah ! Les voila mes bébés ! Je descendai et me plaçai face à la jeune femme, fière de pouvoir enfin montrer mon travail à quelqu'un. Celui-la permet de donner un aspect doré même une fois injecté sous la peau, celui-ci permet d'obtenir un noir profond mais à tendance à ressortir étrangement de la peau ou à se déplacer tout seul et... ah ! Voila le lumineux ! Je lui présentai chaque flacon un à un avant de lui poser la boîte entière sur les genous. Je vous les donne, j'ai encore les recettes de côté. Ma journée est finie normalement... on peut les tester, dites ?

- Oh ! Je levai ma main portant la bague au niveau de mon visage afin de la présenter à la cliente. C'était donc ça votre question sur la provenance du bijou ? Effectivement, je suis... une liche. Mais... je fais quand même attention: si je peux garder mon corps d'origine le plus longtemps possible, ça serait bien. On ne joue pas avec ce genre de chose... et maman ne s'en relèverait pas.

Je m'accroupi face à la cliente pendant qu'elle regardait chaque fiole avec une attention toute particulière. Il est vrai qu'à cet instant, je fus plutôt fière de moi et de mon travail: pour une fois que quelqu'un semblait y trouver son compte ! Et qui sait, elle pourrait devenir une habituée, prendre une carte de fidélité, économiser des points, avoir des objets gratuits au bout du quatrième articles acheté et... on avait pas de carte de fidélité.

- A vrai dire... je ne sais pas, il faudrait lui demander directement, l'encre vous écoutera peut-être. Merci, j'en suis plus satisfaite de celle-ci, plus besoin de ma lampe le soir, le chat fait l'affaire. Et au moins, maintenant il ne peut plus m'attaquer par surprise. Après avoir regardé tous les flacons, la jeune femme se releva me rappelant qu'elle était venue avec une liste. Nous retournions donc au rez-de-chaussé et je lui préparai ce dont elle avait besoin. Le tout emballé dans plusieurs sacs. Voilà la facture, si vous voulez bien. Une fois toutes les formalités accomplies, j'attrapai mon balais, allai à l'éxtérieur ou je pu l'activer et accrocher les sacs à l'arrière. Anathème sauta du balcon de ma chambre situé juste au dessus, atterrissant sur mon large chapeau que je réajustai sur ma tête. Je vous suis, Madame ! Vous pouvez fermer la porte derrière vous s'il vous plait ?

Voler haut avec mon balais ? A vrai dire... Je ne m'y étais jamais tentée. Ou alors je ne m'en souvenais plus. Faudrait que je demande à Mémé, elle devait savoir.

- Pardon. J'ai tendance à répondre aux questions mais pas avec ma bouche. Pour vous dire la vérité je suis plutôt téméraire et prête à Tout mais hier J'ai failli tuer un homme avec. Bon, on va dire que c'était une aubaine dans un sens puisqu'en lui rentrant dedans et après qu'il m'ait mis la bague au doigt, il est devenu mon nouveau professeur. Je parlais de mon aventure de la veille tout en avançant dans la direction que la jeune femme m'indiquait. En fait, tout est parti d'Anathème: il a voulu faire ses griffes aux mauvais endroit et à modifié les signes que j'avais gravé le long du balais. Mais je sais pas si leur nouvelle signification résultait d'une coïncidence ou si mon chat veut réellement ma mort. Je la regardais en pointant de l'index, la petite boule de poil dormant sur mon chapeau. Tout ça pour dire que je ne préfère pas essayer de voler haut. Pas aujourd'hui. Demain peut-être. On continuait à avancer, passant par des rues étroites que je ne connaissais pas. Au fait, je m'appelle Zéphir. Zéphir Tramontane ! Vous voulez peut-etre monter ? Fis-je en lui indiquant l'emplacement situé derrière moi.

- Enchantée Neyk ! Lui répondis-je en souriant. Oh... effectivement. Vos ailes sont sublimes. Vous êtes demi-dragonne, alors ? La classe. Comme dirait Mémé, "elle en jette", enfin. Je crois, elle ne jettai rien actuellement mais... bon... voilà. Vous pouvez voler à quelle hauteur avec ? C'est comme si vous aviez des bras dans le dos ? Vous pouvez les utiliser combien de temps avant de ressentir de la fatigue ? C'est pas trop dur de s'habiller ?

Je posais toutes ses questions en même temps, ne la quittant pas du regard et me faisant insulter, au passage, par les habitants du quartier que nous traversions, s'écartant à mon approche. L'endroit était d'ailleurs particulièrement animé en cette heure de la journée. J'avais davantage l'habitude de rencontrer des personnes agées, ici, la population moyenne restait relativement jeune. Nous passâmes devant un homme me paraissant un peu trop tactile avec celle qui devait être sa femme (je ne manquai pas de donner un léger coup de pied aux cagettes situées derrière ce grossier individu) et devant un groupe d'enfants s'amusant à torturer un chat. Bien que je ne tolérais pas ce genre de comportement, l'occasion était trop bonne.

- Tu vois Anathème: si tu continus à faire des bétises, tu rentreras à pattes ce soir.

Plus nous avancions, plus les rues devenaient étroites, nous rapprochant des batiments et de leurs locataires. A part quelques détails, ce lieu avait le mérite d'attiser ma curiosité: tant de nouveautés ! Et ces jeunes dames qui nous souriaient depuis les trottoirs semblaient tellement contentes de voir Neyk, je répondais bien entendu à leur salutation: simple question de politesse.

Nous continuions d'avancer dans les rues silloneuses de la capitale, tout en discutant. J'avais un peu de mal à entendre ce qu'elle me disait avec les cris poussés par toute la population nous entourant,  couvrant sa voix. Pourtant, cette dernière était particulièrement aiguë. Néanmoins, les anecdotes qu'elle me fournit concernant ses ailes et leur utilisation me seraient sûrement utiles pour certaines recherches futures. Il faudrait que je note ça en rentrant... avant d'oublier.

- Il y a toujours autant de monde près de chez vous ? Ça change beaucoup des endroits que j'ai l'habitude de visiter avec Mémé. Remarquai-je, le visage neutre et le regard à chaque fois attiré a droite et à gauche par des scènes toutes plus... insolites, les unes que les autres. J'aime bien. On a l'impression de traverser une multitude de pays différents. Ça veut dire quoi "mortecouille" ? Nous traversames un gros nuage de fumée s'échappant de la fenêtre d'une chaumiere: l'effet fut... saisissant... voir les mots... entendre les couleurs... et... partout des Anathèmes. Ce qui auparavant étaient des personnes se retrouvaient subitement avec la bouille velue et les moustaches du chat qui était endormis sur mon chapeau. Prostituées? Demandai-je. Je connaissais ce terme: Mémé disait qu'il s'agissait d'un métier honorable. A part ça.... ouah... Vous êtes toute douce... fis-je en plaquant ma main sur le visage de mon guide, la regardant avec mes pupilles dilatées, avant de tourner de l'oeil sur mon balais.

Jamais je n'avais éprouvé une sensation aussi étrange. Presque comparable aux moments ou, déconnectée de mon corps, je me retrouvais, flottante, au sein de mon phylactère. Petite existence perdue dans un Void infini. Mais la, on pouvait y ajouter les effets du sucre: je ne flottais donc pas vraiment seule. Je refléchissais à tout cela pendant que Anathème me proposait une autre tasse de thé et des biscuits frappés du profil de l'Empereur. Quelque chose ne tournait pas rond dans cette scène. Pas le fait que mon chat portait les vêtements de Monsieur Rivail rencontré la veille au soir, non. Pas non plus le fait que nous étions téhoriquement en train de tomber dans le vide infini assis l'air de rien sur les petits tabourets rembourés de chez Mémé, non... Ce qui me dérangeait dans l'histoire était qu'il voulait me servir du thé sachant mon aversion pour cette boisson !

- Achassien... En gigotant les bras, ces derniers heurtèrent quelque chose de très tangible... "Aïe"... et qui parlait. Anathème me regarda, souleva son petit chapeau melon, redressa ses lunettes et parti pour le bureau. Pardon m'dame. Je vous ai pris pour un chat.

Je me relevai doucement. L'animal en question était tranquillement en train de dormir dans un coin de la pièce. Très jolie pièce de surcroit. Il était rare de rencontrer des gens ayant des gouts si prononcés pour l'exotisme, les décorations et les tissus tous plus colorés les uns que les autres.
Je me retournai vers la dame qui était à mon chevet, remis correctement les lunettes sur mon nez et lui demandai:

- Je suis Zéphir. Zéphir Tramontane. Que je me trompe pas mais vous n'êtes pas madame Neyk, non ? C'est joli ici. Je me grattai le nez. C'est chez vous ?

- Oh oui. Très agréable, merci. J'acceptai le verre si gentillement proposé, non sans en sentir le contenu très discrètement, le nez à moitier plongé dedans et les lunettes manquant d'en faire de même. De l'eau, juste de l'eau semblait-il. Je bus, quand bien même Mémé m'avait plus d'une fois interdit d'accepter quelque chose des inconnus. Mais... Ce n'était plus une inconnue du moment que j'avais connaissance de son nom, non ? De l'opium ? Zut, alors, je savais pas que ça donnerai les effets que procure le sucre à mon organisme. Interessant, il faut que je note ça. Je redressai mes lunettes, jettant un regard sur la pièce. J'adore la déco, c'est très original. ENCRAGE ?! Mes neurones venaient tout juste de se connecter: il fallait un certain temps pour que tout se remette en place. Je sautillai sur place, renversant un peu partout le contenu de mon verre. J'peux vous voir à l'oeuvre, mademoiselle Neyk ? On peut tester les encres que vous avez acheté ? Et les miennes ? Avec du matériel de professionnel j'ai jamais pu constater leur tenu et leur fluidité.

J'avais tendance à toujours faire une montagne d'une taupinière. Mais ce qui était chouette quand on avait une mémoire à durée limitée c'était que je redécouvrais sans cesse. Et j'avais donc la possibilité d'avoir plusieurs surprise en une journée avec une seule et même nouvelle. Je remontais mes lunettes, fixant avec un regard un peu vide et sans âme (mais souriante parce que fallait pas pouser mémé dans les orties... ça lui était arrivé une fois et... on s'éloigne du sujet, pardon) mademoiselle Neyk.

- J'suis partante. Mais j'ai pas de quoi... je me penchai, me rapprochant d'elle avec un petit air conspirateur... 'fin. Voilà. Mais si les encres vous plaisent, je eux vous en faire rien que pour vous. Votre marque de fabrique, votre notoriété, votre signature, votre personnalité, votre... monopole. J'ajoutai en faisant onduler le dernier mot: "MonopoooOOoooOle". Fallait donner du drama pour s'attirer les clients. Parole de Tramontane, mademoiselle Neyk, j'vous décevrai pas. Je levai ma main pour lui faire un salut militaire. Pour le motif je pensais à une Amarante à l'arrière de la cheville... je réfléchissais, un doigt sur le menton. Vous en pensez quoi ?